À la recherche de la racine… Radicalisme et publicité.

Le mot radical fait peur.  C’est un mot qui sonne comme ce que c’est.  Ra-di-cal.  Ça sonne tranchant.  Un peu violent.  Le mot français vient du latin radix qui signifie racine.  Avoir une approche radicale, c’est aller au fond des choses, c’est tenter de toucher au nœud du problème.  Au début des années 90, il est apparu à plusieurs intellectuels de la gauche américaine que le nœud du problème se trouvait dans les représentations sexistes et racistes véhiculées par le langage et les médias.  S’en est donc suivi un intense mouvement de rectitude politique, principalement porté par des groupes féministes sur les campus universitaires.  Nourries aux gender studies, elles avaient appris que le genre est construit socialement, qu’on ne naît pas femme, qu’on le devient, et qu’il est même violent d’imposer des catégories sociales de sexes aux individus.  Ces féministes souhaitaient rétablir la tolérance, le respect et la compréhension mutuelle en altérant les différents modèles présents dans la société.   «La diversité a été le définisseur idéologique de la génération X, par opposition à l’individualité pour les boomers et au devoir pour leurs parents.»  (Klein, 2000)  La tendance publicitaire de la première moitié du XXème siècle a donc été d’afficher un discours militant contre l’oppression des femmes et des groupes ethniques. 

GAP a été une des premières multinationales à utiliser de telles stratégies.  Dans les années 90, cette entreprise vendait ses jeans en nous montrant des femmes faire du skateboard.  À l’occasion des fêtes/achats de Noël, des personnes de toutes les couleurs chantaient «people of all around the world, join hand».  Plus près de nous, les Spice Girls ont popularisé le Girl Power, un phénomène culturel disant promouvoir la féminité. Ce n’était en fait qu’une fumisterie visant à envoyer les pré-adolescentes directement au centre commercial.  Est-ce être trop sévère que de douter de l’authenticité des valeurs exposées par ces compagnies?  Après tout, pourrait-on dire, leur mission première n’est pas politique.  Sans doute, répondrais-je, mais il y a des limites à nous prendre pour des tarées.  Pendant que les clientes de Gap célébraient Noël en écoutant des airs des Fêtes, des enfants de moins de dix ans travaillaient en Inde à la conception des vêtements qu’elles porteraient cette nuit-là.  Vive la diversité. 

Et vive la vraie beauté.  C’est le message qu’a décidé de véhiculer Dove depuis 2004, année à laquelle cette compagnie a lancé l’Initiative Vraie Beauté (Dove), dont vous avez sans doute entendu parler.  La compagnie affirme que son intention était de  

 « faire en sorte que les femmes se sentent plus belles, en s’opposant aux stéréotypes de la beauté dans notre société et en les encourageant à prendre soin d’elles.  Le choix de femmes de tous âges, formes et tailles  était conçu pour provoquer la discussion et le débat sur l’image stéréotypée de la beauté aujourd’hui ». 

Pour provoquer les discussions, ou pour vendre plus de savons à «des femmes de tous âges, formes et tailles»?  Car si Dove ne vent plus de crèmes anti-rides, elle vend toujours de la crème pro-âge.  Et du désodorisant pour hommes.  Il faut dire que Dove est surtout une marque détenue par le groupe Unilever, qui est aussi dépositaire de la marque Axe.  Vous souvenez-vous de ce simili-parfum qu’ils se mettaient tous à l’école secondaire ?  Leurs publicités sont toutes aussi populaires que celles de Dove.  On y voit généralement des femmes légèrement vêtues devenir littéralement en rut à l’odeur du dit désodorisant.  Sharon McLoad, directrice du marketing chez Dove, aurait affirmé à ce sujet : « la publicité Axe est humoristique et les femmes le comprennent très bien».  Je n’avais pas compris cela.  Les publicités de Dove sont-elles aussi à prendre au deuxième degré?  Récemment encore, la progression du «loser québécois» dans la publicité a fait jaser tant dans les grands quotidiens que dans la blogosphère.  On s’inquiétait de choses et d’autres, dont la supposée omniprésence des femmes dans la société.  C’est la faute aux féministes si les hommes passent pour des colons ! 

Peut-être avons-nous été victimes de nos propres propos.

J’imagine un grand spécialiste du marketing nous espionner du haut de sa tour commerciale.  Je l’imagine écouter nos grands débats, lire nos échanges virtuels, s’intéresser à nos manifestations.  Se dire : «Ah oui, elles ne veulent plus de publicités sexistes ?  Donnons-leur l’égalité, ridiculisons aussi les hommes, les p’tites dames seront contentes et elles se feront installer Internet comme jamais !».  Comme GAP a récupéré les mouvements contre le racisme, Bell s’est probablement inspiré des revendications féministes, qui se voulaient pourtant porteuses de respect mutuel.        

Ce que je me demande cette nuit, c’est s’il est vraiment pertinent de lutter contre la représentation qui est faite des hommes, des femmes et de la sexualité dans la publicité.  Si je n’ai pas été moi-même aveuglée par toutes ces images.  Est-ce radical de demander aux entreprises de vendre leurs boissons alcoolisées autrement qu’en utilisant de plantureuses jeunes femmes ?  Je ne le crois plus.  Ce besoin de vendre toujours plus de choses à plus de personnes me semble être le symptôme d’une dysfonction plus grande.  Plus radicale.  Quelque chose qui se trouve entre l’individualisme, le paradigme économique et la logique néolibérale. 

Comme l’écrivant Stéphanie quelque part sur ce blogue, peut-être est-il temps de réfléchir à comment «on pourrait […] sensibiliser les enfants sur l’importance pour les deux sexes de se respecter!»  Et peut-être est-il temps aussi d’instruire les gens sur les rouages de la publicité, qui ne cherche certainement pas notre épanouissement personnel et collectif.  Car des gens qui s’aiment achètent moins, c’est connu. 

Et d’ici là, je fais un premier geste radical de la journée : je ferme la télévision.

Pour voir :

Les publicités de GAP

Les publicités de Axe

Petit vidéo dénoncant l\’association entre Dove et Axe 

 

À lire : No logo de la journaliste Naomi Klein.

7 Comments

  • Imace
    14 octobre 2009

    J’ai adoré votre analyse du radicalisme, tellement décrié… Quand il n’est que la conceptualisation d’une revendication, la réflexion sur ses racines.

    Et effectivement, lutter afin que les représentations de la publicité se fassent moins sexistes est un labeur digne de Sisyphe. C’est un peu comme de demander à une bouchère de permettre l’épanouissement des vaches. Ne devrait-on pas dès lors cesser ?

    Hélas, ces représentations sont insidieuses. Comment ne pas voir une seule publicité de la journée ? Elles sont sur les murs du métro. Sur des panneaux géants, dans la rue. Sur des dépliants qu’on glisse dans votre boite aux lettres. Votre téléphone sonne et une voix féminine, mécanique, vous vante des rideaux ou un nouveau forfait d’électricité. Vous sortez du métro et une main fatiguée vous tend un dépliant. Vous allumez votre écran et un slogan idiot vous vrille les oreilles. Vous surfez sur Internet et un pop up s’ouvre d’autorité. Vous êtes obligée de le fermer… Au passage vous avez jeté un coup d’oeil sur la publicité.

    J’espère de tout coeur l’avênement d’une loi permettant d’engager la responsabilité des annonceurs utilisant des moyens intrusifs pour faire leur réclame. Mais c’est un voeu pieux : dans une société où la consommation est le ressort de la croissance économique, peu importe le bien-être des gens.

    Alors puisqu’on doit subir ce harcèlement quotidien, et qu’il nous affecte… Le combat pour apurer l’univers de la publicité est un moindre mal que l’inaction. Je ne crois pas pouvoir contraindre un gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, à tuer la poule aux oeufs d’or, à restreindre l’espace jeté en pâture aux pubicitaires ; je proteste donc contre les publicités sexistes. Et j’ai un sourire doux-amer quand un annonceur récupère les idées féministes pour augmenter ses parts de marché.

    C’est un combat qui est basé sur la résignation, certes. Il reste pourtant à mon sens utile. Qu’en pensez-vous, Valérie ?

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  • Tanya
    3 novembre 2009

    Ta réflexion est très intéressante Valérie. Je pense en effet que faire pression sur les compagnies ne semblent pas la tactique la plus efficace, sauf peut-être lorsqu’il s’agit de boycots.
    Pour moi, l’intersection entre radicalisme et publicité sexiste consiste en la dénonciation du sexisme subtil des publités, celles qui mettent en scène les positions du corps dominé/dominant, des actes actifs/passifs, l’héronormativité, l’enfermement des femmes dans des rôles restictifs. Parce que soyons réalistes, même si une loi contre la publicité sexiste était adoptée, je crains que ce genre de représentations nous entoureraient toujours..

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  • Stéphanie
    3 novembre 2009

    Depuis un certain temps, j’ai pris l’habitude d’envoyer des commentaires positifs aux compagnies dont les publicités me semblaient plus égalitaires et respectueuses de l’intelligence du pblic. Il y en a encore trop peu mais il y en a. Ça les encourage dans cette voie.

    Ça ne m’empêche pas de continuer à envoyer des commentaires soulignant les points que je n’aime pas, généralement parce qu’elles disciminent les femmes ou les hommes (parfois les deux simultanément).

    L’important c’est que les diverses compagnies sachent que l’on réagit. Ils se disent que pour une personne qui réagit, il en a plusieurs autres qui pensent de même mais qui n’écrivent pas.

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  • Valérie
    5 novembre 2009

    Bonjour! Vous amenez toutes des points intéressants. Effectivement, ces publicités se retrouvent partout et son incidieuses. Et je m’en offense, tout comme vous.

    «Le combat pour apurer l’univers de la publicité est un moindre mal que l’inaction.»

    Que l’inaction, sans doute. Mais y aurait-il d’autres actions possibles, visant à créer quelque chose ?! Parfois, j’en ai assez de me trouver du côté de ceux qui réagissent et de, par le fait même, toujours remuer du négatif et nourir ma colère. Parce que si je me suis qualifiée de féministe, c’est parce que cela m’apportait la liberté, la force et ultimement, le bonheur. C’est ce bonheur que je souhaite partager avec les êtres qui m’entourent.

    Je crois que nous nous devons d’être indignées, il y a de quoi!

    «C’est un combat qui est basé sur la résignation, certes. Il reste pourtant à mon sens utile.»

    Oui, sans doute, mais peut-être pourrions-nous développer un autre discours entourant ces publicités. Un discours axé sur ce que nous souhaitons, non pas sur ce que nous déplorons. La publicité altère les rapports entre les hommes et les femmes. L’émergence des publicités ciblant les femmes au détriment des hommes me semble être, actuellement, un problème autant que les publicités de Georges Laraque, puisqu’elles nous éloignent les uns des autres. Y’a qu’à les voir crier au féminisme. Je ne le clame pas haut et fort, je me questionne.

    Stéphanie, je te félicite pour tes messages envoyés aux compagnies. C’est une très bonne initiative qui, j’imagine, reflète ton engagement. Je te pose tout de même une question :

    Que penses-tu des publicités de Dove, qui sont réalisées pour une compagnie soeur des produits Axe ? Une victoire, une défaite? Un moindre mal?

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  • Joëlle
    25 octobre 2010

    Avez-vous remarqué une nouvelle tendance des publicitaires, on nous file une quantité d’images en vitesse hyper accélérée, entre deux échappent un de ces seins (couvert) gros plan largeur écran, un trip à trois, etc… Le trip à trois (nu les trois en plus) c’est Vidéotron pendant Salut Bonjour! et le sein c’est une nouvelle pub d’auto, je n’ai pas retenu la marque… juste le sein! Je ne dois pas être la seule… Les images passent en saccadées alors pour la majorité du temps les gens n’ont pa sle temps de réagir et on dirait qu’il ne la voit pas, pourtant le cerveau l’a bien capté lui 😉
    Astuce…

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  • Stéphanie
    25 octobre 2010

    @Valérie

    « Que penses-tu des publicités de Dove, qui sont réalisées pour une compagnie soeur des produits Axe ? Une victoire, une défaite? Un moindre mal? »

    Lorsqu’on sait à quel point la publicité influence les jeunes, on ne peut qu’être heureuse de l’initiative de Dove mais il faut se souvenir que le but premier d’Unilever c’est de vendre ses produits! C’est donc un moindre mal j’imagine…

    Par la marque Dove, on joue la carte de l’estime de soi et par la marque Axe, on se sert du sexe (la pub du gars dans une version humain du lave-auto et entouré de filles qui s’accroupissent, quittant le champ de la caméra, soi-disant pour le « laver »…)

    @Joëlle

    « Avez-vous remarqué une nouvelle tendance des publicitaires, on nous file une quantité d’images en vitesse hyper accélérée, entre deux échappent un de ces seins (couvert) gros plan largeur écran, un trip à trois, etc »

    L’utilisation du subliminal ne date pas d’hier. Quand j’avais 17 ans, j’ai remarqué à YTV (chaîne anglophone pour enfants et ados) une pub de « pogs » (petits jetons rond en carton) qui montrait très rapidement une sucession pogs.

    Il y avait quelques images sans rapport avec les autres. J’ai vu quelque chose qui m’a intriguée. J’ai donc enregistré la pub le lendemain et l’ai visionnée en appuyant sur pause au bon endroit (après plusieurs essais.) Parmi les images « pas rapport »: un gorille… et un slip pour homme!

    On parle d’un produit pour enfants là tout de même…

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