Sois belle et couvre-toi: La logique de la burqa et la discrimination au travail

C’était dans les journaux récemment, un fait divers somme toute banal. Une jeune Américaine, Debrahlee Lorenzana, se plaint d’avoir fait l’objet un congédiement injustifié de la part de son employeur, une institution bancaire bien en vue. Le motif de son congédiement est également banal, dans une certaine mesure: on lui reproche d’être trop sexy. À tel point que ses supérieurs et collègues étaient – selon les dires de l’employeur – incapables de se concentrer suffisamment sur leur propre travail.

Je dis que c’est banal parce qu’à tous les jours, des gens se font mettre à la porte sur des motifs bidon (pensez simplement aux mystérieuses « restructurations »). C’est également banal, parce que pour plusieurs (trop!) travailleuses, le motif bidon en question cache encore trop souvent un motif de discrimination basé sur le sexe.

Dans le cas de Mme Lorenzana, cependant, c’était au premier degré. Parce qu’on ne lui reprochait pas de s’habiller en guidoune, comme on dirait en bon Québécois, ni d’avoir des comportements inappropriés ou harcelants en milieu de travail. On lui reprochait tout bonnement d’être trop belle.

C’était quoi l’adage déjà? « Don’t hate me because I’m beautiful? »

Selon un article paru dans le Globe and Mail, parmi les tenues que Mme Lorenzana aurait osé porter au travail, on retrouve la combinaison – attention messieurs, sortez les mouchoirs – col roulé noir à manches longues et jupe droite au genou. O-M-G!

En d’autres mots, ce sont en fait les formes de Mme Lorenzana, peu importe ce qu’elle pourrait bien avoir – ou non – sur le dos.

Ce n’est pas sans rappeler cet incident, il y a quelques années, dans le sud des États-Unis, où plusieurs adolescentes avaient été refusées à l’entrée de leur bal de graduation au prétexte qu’elles n’étaient pas habillées convenablement. Bottomline: ce n’était pas ce qu’elles portaient ni la profondeur du décolleté qui offensait les autorités scolaires bien pensantes, mais plutôt le fait que les jeunes femmes visées possédaient des rondeurs avantageuses susceptibles d’être mises en valeur même déguisées en Amish.

Ce qui revient à « cacher ce sein que je ne saurais voir ».

Quand on y pense, c’est la même logique que celle qui sous-tend l’imposition de la burqa et autres couvertures corporelles visant à dissimuler l’impureté – ou la volupté – intrinsèque du corps féminin. C’est une logique d’après moi tout à fait pornographique, dans le sens où elle instrumentalise le rapport homme-femme, en le transformant en un rapport personne-à-objet, uniquement capable d’expression dans une sphère sexuelle.

D’une part, en posant l’entièreté du corps de la femme comme objet sexuel, c’est-à-dire, comme un objet suscitant le désir, cette logique réduit la femme à son corps, ou aux différentes parties de son corps. Regardées de cette façon, on devient seulement un cul, ou un vagin – something that can be fucked, comme le dirait Andrea Dworkin. La femme est alors un sous-humain, une chose, un objet.

D’autre part, en prétendant que le corps de la femme est cet objet de désir irrésistible, cette logique pornographique « animalise » l’homme, et tente de nous faire croire que les hommes sont des bêtes sauvages, des zombies assoiffés de sexe, totalement incapables de contrôler leurs pulsions.

Nous savons tous et toutes que c’est absolument faux. Un mot: libre-arbitre. On est des humains, pas des animaux. Câlisse.

L’autre effet pervers de cette « animalisation » de l’homme est de repousser sur la femme la responsabilité de contrôler les supposées pulsions masculines. Que ce soit les Talibans, certains voisins du YMCA de la rue Parc à Montréal ou encore – apparemment – les ressources humaines de CITI Bank, le message est clair: si vous n’êtes pas couvertes, couvrez-vous, et si vous êtes déjà couvertes, retournez chez vous!

Je trouve choquant que la réaction de certains médias à cette nouvelle ait justement de lancer un « débat » pour déterminer si Mme Lorenzana était adéquatement vêtue, vue ses formes avantageuses, ou plus généralement, pour déterminer comment devraient s’habiller les femmes dans le milieu des affaires. (Remarquez: pas une ligne sur ces hommes dont les manches de chemises épousent en seconde peau les biceps, ou dont les pectoraux menacent à tout moment de faire éclater une chemise trop ajustée.)

(Pour un exemple de non-sens extrême auquel un tel débat peut mener, cliquer ici.)

Ce double standard me rappelle ce passage de la (merveilleuse!) bande dessinée « Persépolis » de Marjane Satrapi. À la fin des classes, (elle étudie alors en arts visuels à Téhéran), Satrapi court après son bus pour ne pas manqer son rendez-vous chez le dentiste. Elle est interpellée par deux « Gardiens de la Révolution », qui lui demandent d’arrêter de courir car, bien qu’habillée de la tête aux pieds de vêtements noirs et amples, son derrière fait des « mouvements impudiques » quand elle court. Satrapi pète alors les plombs et leur crie: « Vous n’avez qu’à pas regarder mon cul! »

De sages paroles!

***

De façon incidente, un autre truc qui m’a profondément choquée avec cette histoire est la réaction de déni extrême qu’ont eue certains hommes face à la plainte de congédiement injustifié de Mme Lorenzana, et dont on peut en lire des exemples troublants parmi les commentaire de ce billet de Patrick Lagacé sur ce fait divers. Si le subtext de ces commentaires pue la misogynie à peine assumée, celle-ci s’exprime par essentiellement trois types de discours:

1) Mme Lorenzana est une menteuse. Une femme qui se plaint du comportement discriminatoire ou sexiste d’hommes à son égard n’est pas crédible. Son niveau de crédibilité est indirectement proportionnel à sa beauté physique.

2) Mme Lorenzana est une menteuse (variante), parce qu’elle est même pas belle! Premièrement, c’est évident que, hein, c’te fille-là est un pichou (voir la photo au début de l’article de Patrick Lagacé). *roule les yeux* Ce qui est particulièrement troublant avec ce type de commentaires, c’est non seulement que leurs auteurs se sentent manifestement investis d’un droit quasi-surhumain de pouvoir juger publiquement du corps d’une femme en particulier, mais que visiblement, ils entretiennent des standards de beauté complètement irréalistes (réf.: tous les commentaires où l’on accuse Mme Lorenzana d’être grosse).

3) Si Mme Lorenzana s’est fait renvoyer parce qu’elle est trop belle, c’est que ses collègues et ses patrons sont des femmes laides et jalouses. Car c’est bien connu, les femmes n’ont aucune solidarité entre elles, et sont toujours prêtes à se poignarder dans le dos pour un oui ou pour un non (ou pour un homme).

4) Mme Lorenzana est à blâmer pour son congédiement. Les auteurs des commentaires suivant cette ligne de pensée projettent ici toutes sortes de comportement quasi-pornographiques à Mme Lorenzana, qui vont de s’habiller en simili-lingerie sur les lieux de travail, à faire constamment des regards coquins à ses collègues dans le but d’attirer leur attention, en passant par *ou-a-che* « se pencher sur leur bureau en position de levrette ». Si c’est pas du victim blaming, je sais pas ce que c’est!

5) Mme Lorenzana est à blâmer pour son congédiement (variante). Elle était manifestement incompétente. Parce que belle et sexy, évidemment.

Pourquoi tant de déni, au bout du compte? Pourquoi tant d’hommes refusent-ils de croire qu’une belle jeune femme puisse avoir été congédiée injustement? Pourquoi tant d’hommes refusent-ils de croire qu’encore aujourd’hui, il existe encore des attitudes sexistes primitives dans notre belle société occidentale industrialisée?

Pourquoi, sinon une crainte, chez certains hommes, d’avoir à accepter que les femmes soient réellement leurs égales?

17 Comments

  • Stéphanie
    13 juin 2010

    Il y a quelques année, une lectrice de nouvelle américaine a été blâmée pour avoir subis une rhinoplastie. On lui a clairement fait savoir qu’elle perdait de la crédibilité en étant aussi belle! J’ai oublié les termes exacts.

    Alors que la beauté d’une femme est considérée comme un avantage dans le domaine artistique, dans l’industrie de la beauté, ou dans la vente, dans certains domaines on oppose encore beauté et compétences et on attend des femmes à ce qu’elles soient désexualisées. C’est comme prétendre qu’une femme ne peut être simultanément désirée et respectée.

    Dans le cas des lectrices de nouvelles, il semble que la perception « beauté incompatible avec crédibilité » soit spécifique à l’Amérique du Nord car j’ai remarqué que les lectrices de nouvelles européennes ont généralement un physique de mannequin.

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  • Valerie
    14 juin 2010

    Le fait que les presentatrices europeennes aient l air de mannequin n est pas un hasard non plus. Cela dit, ca metonne tout de meme. Jai ecoute une entrevue donnee par suzanne levesque aux francs tireurs ou elle avouait que passe un certain age, pour passer a la tete, une femme devait absolument passe au bistouri. Ou a l injection. Elle racontait comment, apres un an sans emploi, elle avait eu recours a la chirurgie… pour recommencer a travailler quelques mois plus tard. Lentrevue est disponible sur le site de tele quebec. Desolee pour lortographe, jecris de letranger avec un clavier simili thai.

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  • Valerie
    14 juin 2010

    Et je rajoute : le blogue de patrick lagace, cest a chaque fois la foire aux horreurs dans la section reservee aux commentaires…

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  • Valerie
    14 juin 2010

    Il devrait avoir une fonction qui permet d editer les commentaires… Cela dit, les rondeurs de madame ne sont pas naturelles. Bien que je reste medusee par tous ces debats, je comprends tres bien ton point et je suis bien daccord. Par contre, sur cette histoire en particulier.. Une courte recherche permet de voir qu elle aurait eu recours a plusieurs chirurgies plastiques, aurait participe a une telerealite… Bof.

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  • Valerie
    14 juin 2010

    Oui, comme la blogueuse Helena ANdrews, j aimerais vraiment la supporter… mais

    <I know men have the fantasy of having a Playboy playmate, » she says in her sit-down interview, which is then spliced with another interview in which she appears to be a little bit tipsy — « That’s what I want to be, tits on a stick. »

    Voila ce qui arrive…

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  • Joëlle
    14 juin 2010

    Ok. on vire ça dans l’autre sens… un homme à la banque s’est fait booster l’organe génitale, assez pour attirer l’oeil sur son pantalon. Tout le milieu de travail et les clients ne parlent que de ça…

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  • Joëlle
    14 juin 2010

    Ma fille m’a déjà demandé: Maman, pourquoi il y a des femmes qui se font faire des gros seins? J’ai pas pu trouvé mieux à dire que je ne savais pas… C’est elle, un jour, qui m’a dit: « Maman, est-ce que c’est comme un accessoire? »

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  • Valerie
    14 juin 2010
  • Joëlle
    14 juin 2010

    N’empêche, j’ai déja vécu cette situation dans une imprimerie, c’est carrément innaceptable. On a pas choisi de congédier LES HOMMES qui la regardaient DE FAÇON DÉRANGEANTE (pour elle), bien non… hein, c’est la fille qui « dérange »… 🙁

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  • Joëlle
    14 juin 2010
  • Joëlle
    14 juin 2010

    Woups… moi aussi j’aimerais édité mon dernier message…

    J’étais tout à fait d’accord tant que j’en étais à la lecture du texte, c’est quand j’ai cliqué la photo sur le site de Patrick Lagacé, vraiment Mme Lorenzana n’est juste pas le bon exemple pour défendre la cause de la femme. Est-on obligé de prendre l’exemple d’une femme qui a décidé de se transformer en femme-objet, on pourrait pas prendre l’exemple d’une femme tout court?

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  • Stéphanie
    14 juin 2010

    Parmis toutes les raisons invoquées pour expliquer les difficultés scolaire des garçons, j’ai déjà entendu et lu à quelques reprise: le string! 😀

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  • Catherine
    14 juin 2010

    Les lois contre la discrimination au travail s’appliquent – fort heureusement – à toutes les femmes, qu’elles soient pitounes ou non, féministes convaincues ou non.

    Peu importe le type d’entrevue ou le type de photos que Mme Lorenzana a pu faire avant et après son congédiement, cela n’excuse en rien le comportement d’un employeur qui l’aurait renvoyée sur la seule base de son apparence physique ou des inférences sexistes qu’il a pu en tirer.

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  • Valerie
    14 juin 2010

    J’veux bien, mais elle voulait elle même être ‘tits on a stick’… Elle s’est reduite elle meme a ‘something that can be fuck’. L’argumentaire de Stephanie tient toujours, ce n’etait seulement peut être pas le meilleur exemple de discrimination. Tant qu’a moi, c’est de la victimisation. Mais je reste d’accord avec l’ensemble du propos. Par contre, faut aussi laisser aux femmes la responsabilité de leurs actes…
    En classe, au secondaire,des filles laissaient leur string dépasser… Moi-même ça me deconcentrait, et je n’étais pas un jeune homme en pleine puberté. Sans que cela légitime ou soit une explication valable a l’échec scolaire des garçons, je trouve que c’est faire preuve de mauvaise foi que de croire que la faute ne repose que sur celui qui regarde. Il était la, son string, dans ma face. C’est certain que ça attire le regard!

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  • Valerie
    14 juin 2010

    Joëlle: comment a t elle appris que des femmes se faisaient poser des seins?

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  • Joëlle
    15 juin 2010

    @Valérie: une pub sur un site internet que je considérais alors fiable… en la voyant regarder avec des grands yeux interrogateurs, j’ai dû lui expliquer, pour ne pas qu’elle reste avec la peur que les siens soient comme ça lol!!!
    Sinon maintenant elle me demande de regarder ses vidéos de musique préférée… des seins boostés, de la pornographie tolérée (quand on sait que les vidéos sont ciblés pour les mineurs?). Comme les adolescentes s’identifient à ces femmes, on n’a pas fini d’avoir des femmes trop belles qui dérangent… (sarcastique)

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  • Jamed Lavy
    20 juin 2010

    Bon, ben j’aurais (encore) appris là que « trop belle » ça veut dire refaite (des seins ou du nez, en l’occurrence : soyons féminines via le bistouri !). ;o) Et si ces messieurs apprenaient à se défaire des critères physiques imposés ?

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