Critique déconnectée

Nathalie Collard a signé un texte dans La Presse critiquant l’événement féministe Toujours RebELLES d’octobre dernier.  La non-mixité du rassemblement lui a fortement déplut. Nous serions ainsi «passéistes» de créer un événement politique non-mixte, aujourd’hui en 2008.

Il y a 20 ans, la non-mixité dans un événement féministe était justifiable, mais pas aujourd’hui  selon Mme Collard. Les participantes, qui avaient entre 16 et 35 ans, qui ont été dès la plus tendre enfance avec des garçons, devraient être plus assurées de parler devant eux. Sa déception portait aussi sur le fait que nous abordions des sujets dépassés, selon elle.

Ainsi « en 2008, les femmes sont rendues tellement plus loin». Plus loin que quoi ? Plus loin que la non-mixité ? La non-mixité est un sujet controversé à même les groupes féministes, mais il est tout à fait légitime encore aujourd’hui de revendiquer des espaces – tel un rassemblement féministe – non mixtes. Les femmes ont maintenant un bonne place dans les médias et l’espace public, mais il reste encore du chemin à faire ( prenez l’exemple des Réalisatrices équitables).  Et puis, ce n’est pas parce que l’on a été à la garderie et à l’école avec des garçons que l’on est automatiquement plus assurée à parler devant eux. Je sais que les filles d’aujourd’hui sont plus libres qu’avant, plus assurées justement, de pouvoir vivre comme elles le désirent, mais cela n’entraîne pas nécessairement un changement drastique dans les comportements sociaux construits depuis longtemps.    La non-mixité est bénéfique, une fois de temps en temps, pour parler de problématiques qui touchent les femmes. Je pense sincèrement que la non-mixité est souhaitable parfois, parce qu’elle agit comme un dénominateur commun positif pour les femmes dans un événement politique comme Toujours RebELLES. La non-mixité de cet événement ne signifiait pas que les femmes ne sont pas capables de prendre la parole en public, cela voulait plutôt à démontrer la nécessité de se regrouper entre femmes, à un moment donné, pour discuter et agir concrètement à propos de ce qui les concernent, pour être mieux équipées ensuite dans leurs milieux respectifs.

Nathalie Collard affirme, avec suffisance, que «les femmes n’ont pas besoin de ça». De quoi ? D’un rassemblement de jeunes femmes qui ont des rêves d’un avenir plus égalitaire ? Franchement, lorsque les médias de masse parlent des jeunes, c’est souvent de manière négative. Décrochage, drogue, gangs de rue, hypersexualisation, malbouffe etc. Ne devrait-on pas saluer et féliciter l’initiative des femmes qui ont organisé un événement festif, créatif, enrichissant, mobilisateur pour les jeunes femmes du pays ? Ce qui est décevant c’est plutôt l’absence totale de considération pour Toujours RebELLES. Elle n’aurait pas pu souligner ce fait important, que c’était un événement politique fait par et pour les jeunes femmes ? Ce n’est pas tous les jours que les jeunes s’organisent…

Vous aurez compris que je ne partage pas l’opinion de Mme Collard. Pour être directement visée dans cet article, ( je suis féministe, j’ai 20 ans et j’ai assisté à l’événement Toujours RebELLES) me faire traiter passéiste est un peu frustrant.  Je suis parfaitement consciente que les femmes avant moi ont âprement lutté pour arriver aujourd’hui à une situation politique, économique et sociale dont je jouis à tous les jours. Je suis loin d’ignorer et de nier cela ! Le texte de Nathalie Collard m’a découragée, parce qu’elle étiquette grossièrement les participantes de Toujours RebELLES de passéistes, ce qui était tout le contraire.  Nous avons fait du cheerleading radical, on a discuté d’écoféminisme, des questions queers, des alternatives menstruelles et plus… Est-ce qu’on parlait d’alternatives menstruelles écologiques en 1990 ?

En ce qui a trait aux questions soi-disant «dépassées» telles que le patriarcat ou la discrimination, je crois qu’il est toujours nécessaire d’en parler lors d’un colloque féministe. Ne serait-ce qu’en introduction, ces concepts de base sont pertinents pour comprendre l’analyse féministe et pouvoir affronter tous les problèmes relatifs à la condition des femmes. Avec ces bases solides, les femmes et les féministes peuvent ensuite passer à autre chose, comme des problématiques plus dans l’air du temps… Nous pourrions toutefois en débattre longtemps.

Sur ce, j’espère que ma critique de la critique vous aura fait réfléchir !


http://www.cyberpresse.ca/opinions/editorialistes/nathalie-collard/200810/16/01-29872-rebelles-ou-deconnectees.php

8 Comments

  • Helene
    6 novembre 2008

    Voici un autre texte de réponse à N. Collard que ma soeur et moi avons envoyé au journal La Presse. sans surprise, ils n’ont pas publié, mais n’ont même pas daigné nous répondre.

    Dans son éditorial du 16 octobre dernier, Nathalie Collard exprimait sa déception devant le rassemblement pancanadien de jeunes féministes tenu à Montréal du 11 au 13 octobre, et auquel participaient pas moins de 500 jeunes femmes de 14 à 35 ans. Deux éléments lui paraissaient particulièrement problématiques : le caractère non-mixte de l’événement et le vocabulaire employé par les militantes, particulièrement les termes « patriarcat » et « discrimination au quotidien ». Ces militantes féministes, qui sont pour la plupart issues des groupes communautaires travaillant avec des femmes de tous les horizons, seraient « déconnectées » de la réalité.
    A notre tour, en tant qu’historiennes des femmes et du féminisme, nous avons été déçues du manque de professionnalisme de l’éditorialiste qui nous a offert un billet d’humeur plutôt qu’une analyse informée de l’événement et du féminisme actuel. Pour N. Collard, il semble évident que désormais au Québec « les femmes s’expriment librement » et que les lieux d’échange non mixtes n’ont plus aucune utilité Or, l’histoire et la sociologie des inégalités entre les hommes et les femmes montrent le contraire. Le patriarcat est une structure sociale et historique – et non un phénomène de mode – et demeure une réalité admise par les chercheurs. De plus, si des centaines de jeunes femmes croient que la non-mixité leur est utile pour mettre en évidence des nouvelles formes de sexisme, on ne peut sans argument sérieux décréter qu’il s’agit d’une attitude « passéiste » et « déconnectée ». À notre connaissance, aucune militante féministe n’affirme que la situation des femmes n’a pas changé depuis 1960, au contraire, elles sont souvent les mieux informées de ces avancées. Leur pensée demeure toutefois subtile et nuancée; tout en sachant reconnaître les gains, elles sont conscientes de leur fragilité et du chemin qu’il reste à parcourir, et ont le courage de poursuivre la lutte pour un monde plus juste.
    Enfin, il ne nous apparaît pas que la conjoncture actuelle soit, comme l’affirme N. Collard, « favorable » aux luttes féministes, au contraire. Nous assistons régulièrement depuis quelques années à des sorties en règle contre les institutions, initiatives et analyses féministes, par des personnes bien en vue qui prétendent définir du haut de leur tribune le « bon » féminisme : celui qui n’est pas militant, intègre les hommes à tout prix et évacue les concepts sociologiques au fondement du féminisme historique.

    Hélène et Catherine Charron

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  • Karine
    7 novembre 2008

    Intéressant, ces propos rejoignent les opinions de personnes « contre les maudites féministes » autour de moi, catégorie ou je n’aurais jamais pensé placé madame Collard. Je crois en la mixité d’évènement et je crois que le féminisme est toujours, sinon plus d’actualité aujourd’hui, mais la non-mixité de cet évènement a permis aux participantes de se retrouver entre femmes pour discuter des enjeux qui nous préoccupent sans se censurer, sans laisser d’autres prendre toute la place et je pense que c’était le but de la non-mixité d’un évènement d’une telle envergure!

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  • Dominique
    7 novembre 2008

    Il semble évident que Madame Collard n’est pas très au fait de ce qui se passe dans le milieu des jeunes féministes. Le fait est que ce fut un évènement populaire, construit par les jeunes pour les jeunes, et que les thèmes qui furent abordés ont été choisis par elles JUSTEMENT parce qu’on les juge encore important aujourd’hui. Le dénie et le refus de vraiment voir la nécessité d’un féminisme multi-forme (non-mixte, mixte, communautaire, académique, etc.) par plusieurs Grandes Dames qui cherchent à imposer une ligne de pensée généralisante et peu concrète (« les femmes sont rendues tellement plus loin ») m’attriste, me choque et me confirme que rien, dans le combat quotidien (individuel et commun), ne mérite d’être à ce point banaliser.

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  • Marianne
    8 novembre 2008

    Vous m’arracherez la tête si vous voulez, mais je suis d’accord avec quelques points avancés par Nathalie Collard. Oui, son opinion est très tranchée, c’est insultant de se faire traiter de passéiste et ça tient plus de « l’impression » que de l’analyse. Normal, c’est un éditorial dans un journal grand public.

    Mais j’avoue que moi aussi j’ai été déçue de constater que cet évènement était non-mixte. Je comprends les raisons qui ont mené à cette décision. Malgré cela, je ne suis tout simplement pas d’accord. Je trouve que ça nous place encore dans une position de victime, une position où on tolère le manque de confiance en soi et où on s’isole encore davantage.

    OK oui, d’emblée je m’exprime beaucoup plus librement dans un souper entre filles. Mais j’apprécie aussi qu’il y ait quelques gars pour challenger mes idées. Je trouve important également de les mettre au courant de ce qui se passe de notre bord. Cet esprit de discussion et de confrontation me semble plus adéquat pour un événement où on cherche à pousser nos réflexions plus loin, comme c’était le cas pour Toujours Rebelles.

    Qu’on me comprenne bien: le rassemblement a été un succès, je salue cet initiative et j’ai fait de superbes rencontres là-bas (Isabelle et moi avions un kiosque pour jesuisfeministe.com). Mais le seul fait que les gars n’étaient pas admis m’a découragée de m’inscrire aux ateliers. D’ailleurs, y aurait-il eu tant de messieurs que ça? Si je me fie à mon expérience de colloques et rassemblements féministes, ils sont habituellement en super minorité.

    C’est dommage que Nathalie Collard fasse rimer non-mixte avec passéiste. Ça l’inscrit dans une ligne de « progrès » du mouvement, comme s’il n’y avait qu’un chemin vers l’amélioration de la cause des femmes et que c’était l’inclusion du sexe masculin. C’est un chemin, celui que moi j’emprunte, mais il y en a plusieurs autres.

    Le féminisme inclusif n’est pas « meilleur » que le féminisme ladies-only. D’ailleurs, y a-t-il un bon ou un mauvais féminisme? Non. Y’a que le féminisme qui nous ressemble. Et le mien, il est mixte.

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  • Audrey
    8 novembre 2008

    Initialement, avant la conférence je ne pensait pas que la non-mixité était une bonne idée. Mais maintenant, je crois que s’était important parce que il y avait des femmes la qui ne s’identifiait pas comme féministes avant la conférence et qui peut être n’auraient pas été confortables a exprimés leurs idée et apprendre, etc dans un situation mixte. Aussi, je pense que c’est seulement des femmes qui comprennent les expériences d’autres femmes, et parler de certain sujets et expériences devant des hommes peut être inconfortable. Je sais que mois j’aurai pas m’exprimer si librement ou de la même façon si les hommes étaient présent.
    En plus, même si c’était un évènement non mixte, combien d’hommes il aura eu ? Je ne connait aucune homme féministe !

    Sur le sujet de que tout les goals du mouvement de années 60 a été obtenu et qu’on a plus besoin de la non-mixité- Mme Collard dit elle même qu’il y a encore des problèmes!
    En plus, les goals du mouvement féministes seront obtenu quand tout les femmes du monde on l’égalité, pas juste les femmes du Québec.

    P.S. Excuse moi s’il y a des erreurs, je ne suis pas parfaitement bilingue !

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  • Edenne
    11 novembre 2008

    En réponse à l’éditorial «Rebelles ou déconnectées?» de Nathalie Collard publié dans La Presse le 16 octobre 2008.
    Déconnectées les féministes? Je n’en suis pas convaincue. N’empêche, cette appellation péjorative a la qualité d’être éloquente, surtout lorsqu’il s’agit du traitement médiatique entourant le mouvement féministe. Rien d’étonnant donc, de lire des propos antiféminismes de la part d’une fonctionnaire de Power Corporation.
    Ce qui surprend néanmoins, c’est la fausseté des propos tenus dans cet éditorial. En effet, son auteure y critique le rassemblement pancanadien des jeunes féministes Toujours Rebelles, évènement auquel j’ai pris part contrairement à Mme Collard. Cette dernière s’acharne à dépeindre les féministes comme étant faibles ou passéistes, puisque qu’elle prenait part à un évènement d’envergure non-mixte.
    À ma connaissance, La Presse n’a pas réservé le même traitement au Congrès international Paroles d’hommes, tenu à Montréal en 2005, un autre évènement non-mixte. Au contraire, le journaliste Mario Roy qualifiait l’ambiance de l’évènement favorable «à l’élévation de l’esprit».
    En critiquant l’exclusivité des femmes lors du rassemblement féministe Toujours Rebelles, Mme Collard alimente le tabou de la non-mixité une pratique passéiste selon elle. D’ailleurs, elle ajoute que les femmes d’aujourd’hui «s’expriment librement, sont autonomes ». Si cette réalité était vraie, aucune femme au Québec ne serait opprimée et ne vivrait dans la pauvreté.
    Elle ajoute par ailleurs que les luttes féministes sont dépassées, en ce sens que femmes et hommes se sont spontanément opposés à la récriminalisation de l’avortement. Dois-je suis lui rappelé que les instigateurs du projet de loi C-484 sont majoritaires à la Chambre des Communes? Que c’est grâce aux efforts soutenus de la Fédération des Femmes du Québec ainsi que plusieurs organisations féministes à l’échelle pancanadienne que la population s’est mobilisée?
    En critiquant agressivement les manifestations du mouvement féministe, Mme Collard réussit, à l’instar de bien d’autres journalistes des médias de masse, à faire croire aux citoyens que la création d’un espace de discussion et de solidarité entièrement destiné aux femmes est puérile. Voilà où se trouve le véritable danger à la pleine réalisation des femmes, dans les discours antiféministes… tenues par des femmes déconnectées.

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