Racines communes : écoféminisme et justice sociale

Ceci est le premier billet de la série «Racines communes» explorant les liens entre l’écologie et le féminisme. Je souhaite présenter ici l’écoféminisme comme branche récente des féminismes, puis, dans le deuxième billet,  le situer avec les écologismes. Le troisième billet aura pour sujet le problème de l’essentialisme. Pour terminer, j’aborderai les possibles applications d’une analyse écoféministe au Québec.

 Alors, qu’est-ce que l’écoféminisme mange en hiver ?

 L’écoféminisme considère que l’oppression des femmes est structurée selon la même logique de domination que celle du spécisme, du colonialisme et du classisme. Il faut analyser de façon systémique le patriarcat, le capitalisme et le colonialisme afin de tendre vers une plus grande justice sociale. Comme le dit Jacinthe Lebanc du Réseau québécois des groupes écologistes,

L’écoféminisme établit des liens philosophiques et sociopolitiques entre les systèmes de domination des femmes et la dégradation des écosystèmes. Il s’agit d’allier les pensées féministe et écologiste en constatant que les femmes et la nature sont toutes deux opprimées par des systèmes patriarcaux, capitalistes, colonialistes, racistes et sexistes. Les mouvements écoféministes sont d’avis qu’il est nécessaire de changer les systèmes politiques et économiques actuels pour freiner le désastre écologique et mettre un terme à l’oppression des femmes et des groupes racisés.[1]

 L’écoféminisme émerge dans les années 1970 un peu partout autour de la planète[2], à l’intersection de l’activisme pacifiste, antinucléaire, féministe et écologiste. Une sensibilité féministe face aux enjeux environnementaux grandit principalement dans les pays du Sud, mais elle est aussi fort présente aux États-Unis suite à la catastrophe de Three Mile Islands, un désastre nucléaire considérable qui marqua l’imaginaire américain.

La française Françoise d’Eaubonne est la première à utiliser le terme «écoféminisme» et à théoriser sa version[3] du lien entre l’environnement et les femmes. L’ouvrage «Woman and Nature»[4] de l’américaine Susan Griffin vient consacrer ce que l’on appelle en jargon académique anglophone le «cultural ecofeminism», c’est-à-dire un écoféminisme reliant les femmes et l’environnement de par leur fonction similaire de génération et de regénération. Cet écoféminisme est essentialiste et, en général, est dévalorisé (voire méprisé) par les féminismes (académiques et militants).

Harry Callahan

Puis, certaines féministes matérialistes/constructivistes pensent différemment les expériences genrées de l’environnement avec les concepts de division sexuelle du travail. Certaines d’entres elles rejettent l’essentialisme[5] (qui ressort souvent d’une compréhension rapide de l’écoféminisme), tandis que d’autres relativisent l’importance de l’essentialisme sans totalement le discréditer[6], car il peut être un agent mobilisateur efficace.  Le livre-phare «Écoféminisme» de Maria Mies et Vandana Shiva amène un point de vue à la fois d’une féministe du Nord (Mies) et d’une féministe du Sud (Shiva) sur l’apport des femmes dans les enjeux environnementaux[7].  

 À l’image du féminisme, l’écoféminisme n’est pas homogène ni simple.  Cette série de billets tentera d’éclaircir brièvement les alliances possibles entre l’écologie et le féminisme.

 Il s’agit, à mon avis, d’avoir une parole féministe sur les enjeux environnementaux, car ces derniers concernent plusieurs aspects de la vie des êtres humains : santé, emplois, alimentation, économie et politique. Si l’on recherche une justice sociale/climatique, il faut aussi comprendre l’impact du genre dans les expériences diverses face à l’environnement, au même titre que la race, la classe ou encore l’emplacement géographique.  

 Par exemple, quels types d’emplois sont développés par l’industrie minière ? Est-ce que ce sont des emplois généralement masculins ? Quelle représentation des femmes dans ces compagnies et/ou syndicats ?  Qui sont les décideurs politiques pour l’agriculture au Québec ? Ou encore quels sont les porte-paroles principaux sur les questions environnementales dans les médias ? Est-ce que le Plan Nord prend en compte les revendications autochtones et quel impact aura-t-il sur les communautés (incluant les femmes et les jeunes) ? Dans les pays du Sud, qui sont propriétaires des terres ? Qui subvient aux besoins quotidiens de leur entourage ? Toutes ces questions méritent des réponses de la part des féministes et cela nécessite aussi une réflexion des alliances politiques avec l’écologie.

 Si l’environnement est un enjeu social, je pense sincèrement qu’il est plus que temps qu’une analyse féministe des enjeux environnementaux apparaisse au Québec.


[1] Leblanc, Jacinthe, «La nécessité d’une perspective écoféministe politique», dans le Mouton Noir, consulté en ligne.

[2] Heller, Chaia. «Désir, nature et société», Édition Écosociété, 2003.

[3] D’Eaubonne, Françoise. «Le féminisme ou la mort», Édition Horay, 1974.

[4] Griffin, Susan. «The Roaring Inside Her» Sierra Club Books, 2000.

[5] Chris Cuomo, Bina Agarwal.

[6] Noël Sturgeon, Karen J. Warren.

[7] Mies, M. et Shiva, V. «Écoféminisme», Éditions L’Harmattan, 1998.

 

Le livre-phare «Écoféminisme» de Maria Mies et Vandana Shiva amène un point de vue à la fois d’une féministe du Nord (Mies) et d’une féministe du Sud (Shiva) sur l’apport des femmes dans les enjeux environnementaux[1]

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