Art, femmes, violence, théories féministes: une rencontre avec hybris.théâtre

hybris.théâtre est une compagnie mise sur pied en 2010 par quatre finissant.e.s de l’UQÀM – 3 filles, 1 gars – qui propose un théâtre « de recherche et de résistance ». Leur dernière création, ORPHÉE REVOLVER, revisite le mythe d’Orphée en donnant la parole à la figure méconnue d’Eurydice, cette épouse que le poète est allé tirer des Enfers. Geste passionné ou désir de possession? C’est l’une des questions que pose le spectacle.

Ça fait depuis le printemps que j’entends parler de cette pièce par la bande (FULL DISCLAIMER: le directeur de la compagnie est mon coloc), sans vraiment connaître le fond de la démarche d’hybris et les propos féministes au cœur d’ORPHÉE REVOLVER. À une semaine du début des représentations, j’étais donc heureuse de pouvoir m’asseoir avec trois membres de la jeune compagnie pour en discuter davantage.

En leur demandant d’entrée de jeu comment leur approche diffère de ce que font d’autres compagnies de théâtre, ce qui ressort sont les concepts de non-hiérarchie et de collaboration. Pas question de répliquer le modèle traditionnel qui place le metteur en scène au sommet de la pyramide, et les acteurs et actrices au bas, comme de simples exécutant.e.s. Pour Marie-Ève de Courcy, hybris.théâtre est un lieu de création qui lui permet de sortir de son rôle d’actrice uniquement interprète et de pousser plus loin son jeu, via l’impro et l’exploration.

On peut se rouler à terre, faire le bacon, se rendre compte que ça marche pas et en revenir, puis c’est pas grave. Ça donne une liberté incroyable, puis ça enlève beaucoup de pression, ça libère beaucoup l’imaginaire pour qu’ensuite on puisse être libre de créer et de jouer.

Philippe Dumaine ajoute que le fait qu’hybris fasse des projets qui mettent de l’avant les filles, et que ce soit une compagnie menée par trois d’entre elles, renverse aussi certaines tendances. Dans l’histoire de l’art et le milieu du théâtre, les femmes sont trop souvent tassées, leur influence minimisée au profit d’artistes masculins.

Une réalité qui trouve écho dans ORPHÉE, puisque le spectacle traite notamment de la place des femmes dans les arts. Trois figures de femmes artistes, « trois Eurydice possibles » sont au cœur de la pièce, sans qu’on les nomme directement: Valerie Solanas, auteure du SCUM Manifesto et qui a tenté d’assassiner Andy Warhol; Camille Claudel, sculpteure dans l’ombre de son frère Paul et de son amant Rodin; et Grisélidis Réal, écrivaine militante et prostituée. Danièle Simon explique l’intérêt de mettre en lumière le travail et les propos de ces femmes:

On entend toujours parler d’Orphée, mais très peu d’Eurydice. Est-ce qu’elle voulait vraiment remonter à la surface de la terre? Est-ce qu’elle voulait pas rester aux Enfers? Est-ce qu’elle avait pas un mot à dire? On s’est mis à fabuler sur la parole d’Eurydice, qui est nullement présente dans ce mythe-là, puis on s’est mis à se questionner sur quelles sont les femmes artistes qui ont été dans l’ombre d’un autre homme artiste.

Mais ORPHÉE REVOLVER, c’est aussi une exploration de la culture populaire et l’imagerie contemporaine liée aux femmes. Des extraits de « Russian Roulette » de Rihanna font partie du spectacle, de même que des paroles de chanson Madonna, des citations de Nicolas Sarkozy, en passant par des textes de plusieurs intellectuel.le.s queer ou postmodernes: Judith Butler, Monique Wittig, Pierre Bourdieu…

Lorsque je les questionne sur leur pratique artistique, à savoir si elle s’inscrit dans la même lignée que certaines œuvres marquantes du théâtre féministe québécois, comme Les Fées ont soif de Denise Boucher, la réponse de Marie-Ève de Courcy est ambigüe. Oui, il fallait que cette pièce-là se fasse, selon elle, mais on ne peut rester éternellement dans les mêmes questionnements: il faut en sortir.

Et qu’en est-il du théâtre féministe actuel au Québec? Philippe Dumaine, en tous cas, trouve que ça fait dur. Et que la seule véritable institution théâtrale féministe à Montréal manque de guts.

Moi, je suis très critique, par exemple de l’Espace GO – qui est supposément le théâtre féministe à Montréal, ou du moins qui est le théâtre d’héritage féministe issu du Théâtre Expérimental des Femmes – qui non seulement a pas de parole féministe, mais qui n’en accueille même pas.

En terminant, je demande à la jeune équipe ce qu’elle espère comme réaction de la part du public. Après tout, il s’agit d’un spectacle qui amène des propositions explosives: on y traite de sexualité, d’hystérie, de grotesque en jouant sur la dichotomie séduction/répulsion. La réponse de Danièle Simon réjouit ses camarades. Danièle, en plus d’être comédienne, est aussi serveuse dans un restaurant près de la Place des Arts où elle se fait régulièrement cruiser par ses clients, qui disent qu’ils viendront la voir jouer.

Je souhaite qu’ils viennent voir cette pièce-là, je souhaite que ces hommes-là viennent me voir et qu’ils soient justement confrontés à la femme, oui qui est belle, qui est sexy, mais aussi qui a une position forte sur l’image de la femme et l’image que la femme projette.

 

ORPHÉE REVOLVER est présenté au Théâtre Ste-Catherine à Montréal du 8 au 17 novembre 2012. Avec Mylène Bergeron, Mykalle Bielinski, Luc Chandonnet, Marie-Ève de Courcy et Danièle Simon. Mise en scène de Philippe Dumaine. Billets en vente ici.

1 Comment

Post a Comment