De Véro à Beyoncé – ces marques féministes

Cet article est né suite à un statut que j’ai écrit dans lequel je disais, de façon peu nuancée, que Beyoncé n’était pas une féministe. Plusieurs femmes et hommes ont réagi et m’ont poussé à réfléchir un peu plus.

Le féminisme, concept complexe, a connu plusieurs vagues. Le but de cet article n’étant pas d’en faire l’explication, je vous référerai ici pour en apprendre plus. Ces nombreuses vagues témoignent d’une complexité et d’une diversité qui sont, selon moi, signe que nous évoluons sainement. Un mouvement homogène, où tous et toutes s’entendent et agissent dans une synchronie irréprochable n’est pas souhaitable. Une pensée uniforme est une pensée qui stagne. Cependant, je crois qu’il est possible de cadrer le féminisme et d’élaborer une grille servant à évaluer ce qui est féministe et ce qui ne l’est pas.

Alors que Beyoncé sortait son dernier album le 13 décembre dernier, plusieurs collègues et ami.e.s se réjouissaient de l’engagement féministe de cette chanteuse pop internationale. Rare sont les vedettes pop qui sentent le besoin d’inclure le féminisme dans leur art ces temps-ci. Est-ce un coup marketing génial pour élargir un public? Est-ce une pure instrumentalisation du féminisme? Est-ce un désir réel de faire la promotion de valeurs qui lui tiennent à cœur? Je ne le sais point et ce n’est pas le but de cet article.

Plusieurs associent la réussite d’une femme au féminisme. Évidemment, lorsqu’une femme indépendante parvient à gravir les échelons pour se rendre tout en haut, son parcours s’inscrit dans la visée féministe. Par exemple, combien de Québécoises et de Québécois pensent à Véronique Cloutier comme une femme forte, indépendante et brillante qui a su faire sa place dans un monde très masculin? Mais cette réussite fait-elle de Véronique Cloutier une féministe? L’album de Beyoncé dans lequel elle exprime son penchant féministe, en citant, par exemple, Chimamanda Ngozie Adichie, fait-elle d’elle une féministe?

Ces deux femmes, parmi tant d’autres, qui sont devenues des marques (Véronique Cloutier l’assume complètement avec son documentaire Véro Inc.) ne peuvent plus êtres considérées simplement comme des individus, comme des femmes. Ces deux personnes sont devenues une marque de commerce, que ce soit dans le monde des communications ou de la chanson. Nous avons accès à ce qu’elles veulent bien nous montrer; elles filtrent l’information et se présentent presque toujours comme elles le veulent. Que ce soit un look naturel, pour nous montrer comment elles sont des «vraies» femmes, une photo avec leur enfant, pour nous montrer comment elles concilient le travail et la famille ou une photo plus sexy, pour nous montrer qu’une femme peut être forte et «belle», ces deux femme sont entourées d’une équipe marketing et jouent sur leur image pour vendre. Cette remarque n’est pas un reproche; quand on est une marque, il faut vendre.

Par contre, il est aussi nécessaire de préciser qu’être une marque, c’est nécessairement accepter de participer au système capitaliste dans lequel on vit et au système patriarcal. Pour devenir une marque, il faut avoir réussi à plaire et à vendre selon les critères spécifiques du système, que ce soit en correspondant aux standards de beauté, en utilisant son corps ou en incarnant le rôle de la femme-objet qui ne sert qu’à plaire à l’homme.Même si Beyoncé réussit sa carrière en incluant des concepts féministes, elle réussit parce qu’elle correspond aux critères de ce système patriarcal. Une femme, une marque, ne peut être une féministe si elle solidifie les bases du système qu’elle dit combattre.

Cependant, il ne faut pas non plus oublier l’impact des femmes-marques dans le monde féministe et aussi l’impact qu’une femme noire comme Beyoncé peut avoir sur la population noire (même si elle joue trop souvent à mon goût la carte de la femme qui veut s’occidentaliser à tout prix). Elle est l’exemple que la couleur de peau n’est pas (toujours) un obstacle à la réussite et à l’indépendance. Véronique Cloutier prouve qu’être une femme n’est pas (toujours) un obstacle à la réussite et à l’indépendance. Elles sont donc féministes, par la bande, parce qu’elles participent à l’émancipation des femmes de par leur carrière.

Est-ce assez pour être UNE féministe? Je pose la question sans avoir la réponse et probablement que je ne la trouverai pas. À ce que je sache, ces deux femmes-marques ne sont jamais sorties publiquement pour parler d’avortement, du travail du sexe, de l’inégalité des salaires, de la violence envers les femmes (même que Beyoncé laisse rire son mari de la violence domestique dans sa propre chanson) ou même de l’objectivation des femmes. Nuisent-elles au féminisme? Certainement pas. Participent-elles consciemment au féminisme? Certainement pas non plus, de mon humble point de vue. Que sont-elles alors?

Est-ce nécessaire de réfléchir à ce qu’elles sont? Est-ce que le féminisme n’est pas justement de laisser les femmes faire ce qu’elles veulent sans questionner leur travail avec une perspective féministe? J’ai beaucoup de question et très peu de réponses. Mais je crois que parfois, c’est aussi ça le féminisme. C’est réfléchir, questionner et analyser sans avoir comme objectif d’arriver à la vérité. De toute façon, qui détient la vérité?

 

7 Comments

  • Marylyne
    20 décembre 2013

    « (même que Beyoncé laisse rire son mari de la violence domestique dans sa propre chanson) »
    Est-ce que Beyoncé devrait surveiller chaque parole que son mari lance? Est-ce que Beyoncé est moins féministe parce qu’elle réussit dans le « système capitaliste et dans le système patriacal »?

    Beyoncé aurait pu faire comme une grande majorité de chanteuses pop populaire et ne pas parler de féminisme dans son album. Elle aurait pu le faire et je suis sûre que ses ventes serait aussi impressionantes qu’elles le sont aujourd’hui.

    Mais voilà, elle a décidé de le faire.

    Et c’est là toute la différence. Beyoncé a décidé de ne pas faire comme les autres et c’est ça qui rend son album plus intéressant : elle parle d’un sujet qui dérange: le féminsime.

    Donc, oui. Beyoncé Giselle Knowles-Carter PARTICIPE PLUS QU’ACTIVEMENT dans le monde féministe car elle a réussit justement à percer dans ce  » monde patriarcal » et qu’elle dénonce certaines injustices commises envers les femmes.

    Sa personne ne devrait pas être minimisée seulement parce que vous pensez que puisqu’elle est célèbre et qu’elle ne parle pas d’avortement ou d’inégalité de salaire qu’elle ne mérite pas d’être féministe.

    « With alot of success comes alot of negativity » – Beyonce Knowles

    [Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]

    • Fannie B
      20 décembre 2013

      “(même que Beyoncé laisse rire son mari de la violence domestique dans sa propre chanson)”
      Est-ce que Beyoncé devrait surveiller chaque parole que son mari lance?

      J’ose croire que Beyoncé a son mot à dire quand elle invite quelqu’un à participer à sa chanson. Alors si elle laisse la personne (en l’ocurrence ici son mari) rire de la violence domestique, c’est qu’elle l’approuve. Ça n’a pas rapport avec  »surveiller son mari ».

      Est-ce que Beyoncé est moins féministe parce qu’elle réussit dans le “système capitaliste et dans le système patriacal”?

      Il y a une différence à réussir dans le système et grâce au système. Dans ce cas, Beyoncé fait les deux.

      Beyoncé aurait pu faire comme une grande majorité de chanteuses pop populaire et ne pas parler de féminisme dans son album. Elle aurait pu le faire et je suis sûre que ses ventes serait aussi impressionantes qu’elles le sont aujourd’hui. Mais voilà, elle a décidé de le faire. Et c’est là toute la différence. Beyoncé a décidé de ne pas faire comme les autres et c’est ça qui rend son album plus intéressant : elle parle d’un sujet qui dérange: le féminsime.

      Évidemment elle aurait pu. Et c’est pourquoi j’ai décidé de ne pas aborder le  »pourquoi » de son choix, parce que ni toi ni moi pouvons y répondre.

      Donc, oui. Beyoncé Giselle Knowles-Carter PARTICIPE PLUS QU’ACTIVEMENT dans le monde féministe car elle a réussit justement à percer dans ce ” monde patriarcal” et qu’elle dénonce certaines injustices commises envers les femmes.

      Quand est-ce qu’elle dénonce les injustices envers les femmes?

      Sa personne ne devrait pas être minimisée seulement parce que vous pensez que puisqu’elle est célèbre et qu’elle ne parle pas d’avortement ou d’inégalité de salaire qu’elle ne mérite pas d’être féministe.

      Je ne minimise pas sa personne, puisque je ne la connais pas personnellement, mais bien son image, sa marque. Je critique Beyoncé en tant qu’artiste, pas en tant que personne. Et quand je parle des enjeux féministes, je ne dis pas qu’elle ne mérite pas d’être féministe parce qu’elle n’en parle pas. J’essaie justement d’amener la différence entre être féministe et être une féministe. Et je considère Beyoncé comme faisant partie du premier cas.

      “With alot of success comes alot of negativity” – Beyonce Knowles

      Critiquer quelqu’un et l’analyser, en amenant un point de vue nunancé, ce n’est pas du négatif.

      [Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]

  • Marylyne
    22 décembre 2013
  • Caroline R.
    22 décembre 2013

    Un petit rappel, seuls les commentaires respectueux, qu’ils soient en accord ou non avec la perspective de l’auteure, seront tolérés. SVP référez-vous à notre Netiquette: https://jesuisfeministe.com/?page_id=1660

    [Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]

  • Daphné
    22 décembre 2013

    Je trouve que Beyonce joue trop la carte de l’hypersexualisation lorsqu’on considère que celle-ci s’inscrit dans un contexte où nous sommes saturées d’images de femmes dont l’accent est mis sur le corps et la performance sexualisée. À un point tel que cette surreprésentation peut devenir oppressive (l’obligation perçue de devoir être ‘hot et sexy’). Nous vivons dans un monde (patriarcal)où il est payant pour les femmes de jouer cette carte et cela à certes été payant pour Beyonce. Mais est-ce que cela sert les femmes?

    Cependant, comme mentionné par Marilyne, Beyonce aurait pu se contenter, comme bien d’autres qui carburent également à l’hypersexualisation, de ne faire aucune référence au féminisme. Pour cette raison, je lui dit ‘chapeau’. Cela peut servir la cause féministe si c’est pour inspirer un jeune auditoire à s’y intéresser, mais, pour les raisons que j’ai mentionnées plus haut, je reste ambigüe sur le genre de féminisme incarné par Beyonce…

    [Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]

  • GabrielleTC
    10 janvier 2014

    Est-ce qu’il faut être militante pour être feministe ? Devons-nous « pratiquer » le feminisme pour s’en réclamer,comme on le fait d’un métier ? Il me semble que dans cette société le simple fait de se dire féministe, haut et fort, est un acte feministe considérant les débats et les discussions que ça créé inévitablement et considérant qu’il faut avoir réfléchit assez pour articuler sa pensée. Surtout pour une figure publique qui devra le faire en ayant un un poids disproportionné dans le débat et en étant scrutée. Il me semble que chaque individu peut être féministe à sa mesure et selon ses capacités et ses connaissance et que ça commence en s’identifiant comme tel. Où est-ce assez ? Je pose la question.

    [Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]

Post a Comment