Car nous ne sommes que des corps

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Mon cher physio,

à l’heure où notre société débat au sujet de la prostitution et de la gestation pour autrui, je vous adresse cette lettre, bien que les faits remontent à l’été dernier. J’avais alors subi un accident de vélo et j’ai eu quatre rendez-vous avec vous pour assurer la bonne guérison de mon épaule.

Lors de ces quatre brèves rencontres, vous avez agi avec moi d’une façon qui m’a mise très mal à l’aise et qui m’est revenue plusieurs fois à l’esprit lorsque nous débattions féminisme, avec des amis. Plusieurs fois, vous m’avez touchée le bras ou la jambe lorsque vous étiez en train de me parler mais non en train de me traiter. Chaque fois vous m’avez demandé d’enlever mon haut, même si je mettais des vêtements qui dégageaient toujours plus mon épaule pour ne pas avoir à le faire. Vous parliez et bougiez d’une façon suave, probablement sans même vous en rendre compte. Vous aviez la bague au doigt, mais une belle jeune fille à la chaire ferme sous la main, alors comment résister ?

J’ai pensé changer de physiothérapeute, mais c’était compliqué puisque la SAAQ couvrait mes traitements et que j’en faisais si peu. J’ai aussi pensé vous demander d’arrêter de me toucher pour rien, mais je vous entendais déjà répliquer : « Mais non, voyons, ce n’est rien. C’est que je suis si habitué au contact physique avec mes patients. C’est un malentendu. » Ou quelque chose du genre. Et je me serais sentie humiliée.

Si j’écris cette lettre aujourd’hui, c’est que je me sens fatiguée. Fatiguée de n’être qu’un corps à votre disposition messieurs, vous qui avez un rôle dominant dans notre société que l’on qualifiera encore sans s’abuser de patriarcale. Quelques étés plus tôt, alors que je les passe habituellement en robe ou en jupe par confort, j’ai décidé d’investir dans quelques paires de shorts, irritée de me faire siffler en vélo. J’ai finalement compris que ce n’était pas de vous imaginer pouvoir voir ma culotte qui vous faisait perdre votre bienséance, mais bien de voir mes jambes. Que dois-je faire alors ? Passer mes étés en pantalon pour épargner votre libido et ma frustration ?

Plus récemment encore, j’ai critiqué ouvertement et plutôt durement une personnalité publique de ma génération, controversée pour être à la fois féministe et « people ». Plusieurs m’ont qualifiée de jalouse, faisant probablement référence à sa notoriété, mais un homme est allé jusqu’à m’écrire : « Tu dois être grosse et moche pour avoir écrit truc pareil. » Puis-je avoir une réflexion politique plus profonde que la peur de ne pas être assez sexy pour ces messieurs ? Est-ce normal que l’on soupçonne que ma seule source de frustration soit mon corps ?

Ces petits constats qui habitent mon quotidien et nourrissent mon indignation m’amènent à comprendre en quoi la prostituée, la mère porteuse et moi-même vivons, à différentes échelles, la même réalité : celle de la domination masculine. Car trop souvent, pour les hommes, nous ne sommes que des corps. La femme que l’on peut payer pour jouir ou pour perpétuer ses gênes, celle à qui on donne beaucoup de « tip » au bar parce qu’elle est « cute », celle qui a un tellement beau sourire sur une affiche électorale.

Je ne suis pas la première à m’élever pour l’abolition de la prostitution, contre la gestation pour autrui et contre toutes les autres déclinaisons, plus ou moins subtiles, de l’utilisation du corps de la femme pour les besoins des hommes. J’espère que je ne serai pas la dernière. Vous pourrez qualifier les féministes de « mal baisées » tant que vous voudrez, mais vous ne ferez que prouver notre point, à nous abaisser encore une fois à notre corporalité. Nous resterons féministes, tant qu’il le faudra.

Céline Hequet

9 Comments

  • typhaine
    16 juin 2014

    Le milieu médical rend acceptable une tonne de violations qui sont absolument impensables ailleurs. Les professionnel-le-s de la santé semblent souvent oublier qu’ils (et elles, même si on peut argumenter que le milieu médical est de tradition très masculine) sont face à une personne, et pas uniquement face à un corps.

    J’ai vécu cette frustration de me sentir réduite au corps que j’ai, que je suis, même quand la personne qui me traitait restait dans un registre très professionnel. Parce que même quand il n’y a pas de rapports de séduction qui s’ajoutent à la situation, la notion de consentement est parfois nébuleuse une fois dans un cabinet de médecin… bref, je crois qu’il s’agit en effet d’un enjeu féministe.

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  • Marylie Savoie
    16 juin 2014

    Wow minute papillon!
    Qu’un corps qu’ils peuvent payer?
    Mais réalises-tu que tu compare un métier et se faire siffler à vélo? Que tu prends la parole pour des femmes qui ne tiennent pas du tout le même discours?
    domination masculine? Domination féministe oui!

    Je suis lasse que l’on joue avec ma vie , ma santé et ma dignité au nom d’une idéologie!

    Je suis enragée de lire ce texte si suave , si complaisant.
     »pauvre petites putes » qui ne sont que des corps!

    Nous revendiquons , nous militons, nous parlons, nous crions, nous sommes des milliers!
    Et pourtant on nous infantilise encore!

    Vivement dans quelques années quand le Canada sera forcé de décriminaliser la prostitution grâce à la Cour Suprême!

    Et sincèrement , réfléchis un peu avant d’écrire et d’être si maternante.

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    • Lou
      30 juin 2014

      Je ne crois pas que l’auteur ait voulu dire que les prostituées ne sont que des corps, mais plutôt qu’elle essaie de dénoncer le fait que les clients les objectifient. Après la formulation est peut-être maladroite, mais il ne me semble pas qu’elle les méprise ou les objectifie d’aucune manière ?

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      • Marylie Savoie
        9 juillet 2014

        Mais justement! Les clients ne nous objectifient pas!
        Ce sont des partenaires respectueux, doux , avec qui je travaille quotidiennement!
        C’est méprisant de definir un type de relation en lieu et place des personnes concernées.

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        • Daphne
          9 juillet 2014

          Oui, les clients objectifient les prostituées et les voient comme des corps à utiliser. Les annonces d’escortes en témoignent: elles offrent une description des corps disponibles (couleurs des cheveux, ethnicité, âge, mensurations) et le taux horaire de location. Voilà.

          p.s. j’ai déjà travaillé comme escorte, avant de me faire dire que je n’ai pas droit à aucun avis sur la question.

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  • LA RENARDE
    17 juin 2014

    A mon avis le problème n’est pas tant de n’être que des corps mais plutôt de n’être que décor ……
    Personnellement je pense que seul le corps est vrai . Je ne crois pas en l’existence d’un esprit qui habiterait un corps . Ni en l’existence d’une âme au delà du corps . Ni en une réalité psychique méta-corporelle …… Je pense que seul les corps sont vrais ……
    Mais nous ne sommes que décor car seules les femmes répondant aux critères esthétiques patriarcaux ont le droit d’exister ….. Les femmes moches , les boudins , les thons , les cageots n’ont droit au mieux qu’à l’invisibilité ….. J’ai utilisé tous ces mots péjoratifs à dessein car la laideur est socialement péjorative ……
    Alors oui ! nous ne sommes que des corps , mais lorsque ce corps n’est pas conforme il n’a pas le droit d’être …. Et c’est cela aussi le problème …….

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  • vbn
    23 juin 2014

    Et si le physiothérapeute aimes te toucher pendant la consultation et qu’il se retient hors consultation? Que faire, interdire aux hommes de pratiquer?

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