Une histoire de hiérarchie féministe et de burrito-déjeuner

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Un avant-midi tranquille dans un café-coop de Centre-Sud, je ne peux m’empêcher d’écouter la conversation de mes voisines de table tout en savourant mon burrito-déjeuner. Car voyez-vous, j’ai les oreilles «plutôt longues», surtout que les dites interlocutrices ne cessent de répéter le mot « féminisme » haut et fort.

Ce qui m’a embêtée, c’est que les jeunes femmes, quoique visiblement intelligentes et très bien articulées, ont passé cette demi-heure à argumenter sur le féminisme de leurs proches. C’était un véritable concours, une compétition, une hiérarchie! C’était à savoir qui était PLUS féministe que qui, qui était MIEUX féministe que qui, qui était féministe de LA bonne façon, qui était SUFFISAMMENT militant, qui n’était visiblement PAS féministe puisque non-anarchiste, etc. J’étais étourdie.

Là repose tout le problème du féminisme en ce moment. Selon moi, ce qui manque au mouvement, au sens LARGE du terme, c’est l’inclusion. L’espèce de vulgaire étiquetage auquel tout le monde s’abaisse (oui, même moi, qui jugeait le féminisme de Beyoncé & de Taylor Swift) et qui fait du mouvement quelque chose de compartimenté, de fragmenté. Au lieu d’unir nos voix pour crier plus fort, plusieurs passent leurs temps à rejeter celles(ceux) qui veulent hurler avec elles(eux). Parce qu’elles (ils) ne sont pas assez ci. Parce qu’elles (ils) sont trop cela. Et je trouve que c’est ridicule.

Un ami me dit constamment que j’écris des textes féministes trop « populaires » et me fait très peu subtilement savoir que ceux-ci ne « comptent pas », car ils « n’apportent rien ». Qui surenchérit en disant que c’est « juste une mode », d’être féministe, en ce moment.

Non, je n’écris peut-être pas des textes où je cite des philosophes ou des penseuses. Non, mes écrits ne pourraient absolument pas faire l’objet d’une thèse de doctorat. Non, je ne pense pas que mon lectorat doive googler à maintes reprises pour bien suivre le fil de mes (humbles) pensées. Et j’en suis fière! C’est un bon moyen de toucher beaucoup de gens! Appelez cela de la vulgarisation, du féminisme pop, ça ne me causera pas de rides sur le front!

On me dit que si je me maquille ou si j’aime écouter du Gainsbourg, occasionnellement, cela prouve que je ne suis pas réellement impliquée dans le mouvement. Oui; je me sens mieux dans ma peau quand je porte du mascara. Oui; parfois, j’écoute des chansons aux paroles un peu douteuses. Diantre! Je préfère même les robes aux pantalons! Je ne vois vraiment pas en quoi cela affecterait le FAIT que j’exige l’égalité des sexes (que dis-je? L’égalité GLOBALE) et que j’en parle à qui veut bien m’entendre/me lire.

Un autre exemple : personnellement, je suis pourrie pour manifester. Je suis agoraphobe, je suis absolument incapable d’être dans une foule, encore plus s’il y a trop de bruit ou PIRE, du mouvement. J’endure les salles de spectacles à la seule et unique condition d’être près de la porte de sortie de secours… et encore là! Alors, de m’imaginer scander des slogans, surveillée de près par des agents de  police agressifs, non merci, très peu pour moi. Cela ne m’empêche pas d’admirer ceux et celles qui le font! Si moi, ce qui me branche, c’est de lier des phénomènes de la culture populaire au féminisme, je ne vois pas pourquoi cela serait « moins bien vu » au sein du mouvement.

Et si le mouvement gagne en popularité grâce aux réseaux sociaux ou à certaines vedettes, et bien, ainsi soit-il! Si plus de jeunes gens sont conscientisés, peu importe la manière, non? (tant qu’ils prennent la peine de BIEN se renseigner, bien sûr). Mais si l’on arrive à piquer la curiosité de plus en plus de gens, ce devrait être positif, non?

Ma pensée pourrait se résumer ainsi : nous voulons tous dire la même chose, nous voulons tous obtenir le même résultat (enfin, je pense…). Qu’importe le moyen de faire passer le message, tant que c’est fait dans le respect de nos pairs? Qui sommes-nous pour juger le militantisme des autres? Si nous prenions l’énergie consacrée à rabaisser les féministes « différents/tes » et que nous appliquions cette verve à ladite cause, il me semble que ce serait bénéfique pour tout le monde, non?

3 Comments

  • Daphne
    5 novembre 2014

    Je suis capable de dire qu’une telle à un engagement féministe plus prononcé que le mien ou pratique un féminisme plus radical que moi. De là à en faire un sport de compétition, je n’en vois pas l’intérêt.
    Cependant, il est bien bien, même sain, qu’il y ait des débats au sein du mouvement, des divergences d’idées. Le mot ‘juger’ le féminisme (de Beyonce ou de d’autres qui s’en réclament) est peut-être un peu fort, semble péjoratif, mais questionner/analyser une démarche, un message, pourquoi pas. Il ne faudrait pas non plus censurer notre pensée, éviter le débat, pour la simple peur de susciter des désaccords.

    Le féminisme appelle aussi à se questionner soi-même et ses choix. Lorsque vous dites ‘je me sens mieux dans ma peau quand je porte du mascara’, pourquoi en est-ce ainsi? Il ne faut pas voir ces questionnements comme des attaques personnelles (et ces questions ne devraient pas être lancées comme telles) et la défensive ne devrait pas être de mise. Par exemple, je me rase le poil à bien des endroits et je pourrais dire que c’est ce qui me mets le plus à l’aise mais je ne me ferai pas croire que c’est purement un choix individuel authentique exempt de toute influence patriarcale (alors que les hommes eux seraient en général tout à fait à l’aise à exhiber leurs poils?).

    J’aime bien votre texte et les questions qu’il soulève. Bien d’accord avec votre message qui appelle au respect. Si je peux me permettre de ‘juger’ votre contribution au féminisme: de l’affirmer, d’en parler, de stimuler la réflexion y contribue très bien si voulez mon avis!

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  • Chloé
    6 novembre 2014

    Je ne suis pas certaine qu’il soit juste de dire que toutes féministes désirent le même résultat, peut-être si nous le prenons au sens très large, mais encore… Par exemple, si nous comparons deux courants soit le féminisme différentialiste qui soutien l’existence d’une nature différenciée entre les sexes et le féminisme radical qui vise à abolir le patriarcat et dénonce la naturalisation du rôle social de la femme je doute que nous puissions concilier leurs objectifs.

    Toutefois, je suis d’accord avec vous lorsque vous critiquer le fait de se juger individuellement à titre de militante. Tout d’abord, il ne devrait pas y avoir une forme de hiérarchie au sein du féminisme. Ensuite, je pense aussi que de se diviser continuellement en se jugeant n’est pas bénéfique au mouvement. Par contre, la critique, elle, est saine lorsque celle-ci est bien construite, car c’est la seule façon de réellement remettre les choses en question.

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