Réclamons la rue, réclamons la nuit

Pourquoi La rue, la nuit, femmes sans peur est pertinent malgré mon existence relativement privilégiée

Chaque année, dans plusieurs villes du Québec et d’ailleurs, les femmes sont invitées à prendre la rue, le soir du 3e vendredi de septembre pour une marche intitulée La rue, la nuit, femmes sans peur. Pour la deuxième fois, cette année je participe à l’organisation d’une marche tenue à Québec, malgré un questionnement récurent par rapport aux prémisses de ces événements.

Ai-je ma place dans ce mouvement qui revendique un espace, la rue, auquel j’ai un accès privilégié?

J’habite à Québec, une ville calme qui connaît relativement peu de crimes violents. Je n’ai pas à faire face à une peur intense quand je choisis de marcher dans les rues la nuit (les pistes cyclables isolées sont une autre histoire). Je ne suis pas plus courageuse qu’une autre. C’est surtout que je bénéficie d’une multitude de privilèges qui me permettent de me déplacer en sécurité, dans ma ville et ailleurs. Je constate encore et encore comment le fait d’être blanche, d’être confortable économiquement et d’être mobile augmentent mon sentiment de sécurité. Mes jambes en santé me permettent de courir ou de pédaler pour éviter une situation stressante, pour me sauver. Mon statut socio-économique y est pour beaucoup dans le fait que je pourrais aussi choisir de me déplacer en voiture ou d’appeler un taxi pour éviter les situations potentiellement dangereuses ou apeurantes. Je sais que j’ai accès à plusieurs « plans B. » En cas de besoin, je peux par exemple entrer dans un commerce sans craindre de me faire montrer la porte.

Je suis consciente que d’autres femmes ayant un profil similaire au mien vivent parfois des peurs intenses si elles se retrouvent seules dans la rue, le soir ou la nuit. Loin de moi l’idée de minimiser leurs difficultés. Il existe une multitude de raisons qui peuvent expliquer cette peur, qu’elle soit basée sur des risques réels, des expériences traumatisantes, ou qu’elle prenne sa source dans des croyances bien ancrées – une vie à se faire répéter de ne pas sortir seule le soir, par exemple. Je sais que ces peurs existent. Elles sont légitimes. Mais je serais malhonnête de prétendre que la peur limite réellement ma liberté de mouvements.

Pourtant, le vendredi 19 et le samedi 20 septembre prochain, je marcherai pour revendiquer le droit d’occuper l’espace de la rue, la nuit. Je marcherai pour mes amies et mes camarades qui ne peuvent pas le faire à leur guise tous les soirs et toutes les nuits de l’année. Je marcherai parce que je crois profondément que tant que l’espace public n’est pas un lieu sécuritaire pour toutes et tous, il ne l’est réellement pour personne.

Je marcherai en solidarité avec les plus de 1186 femmes autochtones disparues ou assassinées à l’intérieur des frontières du Canada. Je marcherai pour crier contre un gouvernement qui se dit though on crime mais qui ne lève pas le petit doigt pour mettre fin à ce problème social.

Je marcherai en solidarité avec les personnes qui vivent une situation de handicap et pour qui la rue comporte des défis et des dangers multiples – de l’aménagement urbain inadéquat au harcèlement.

Je marcherai en solidarité avec les personnes qui subissent du harcèlement et des violences à cause de leur orientation sexuelle – ou de la perception de leur orientation sexuelle – et de leur identité de genre. Les personnes trans, notamment, sont beaucoup plus à risque d’être victimes de crimes violents que les personnes cis. (78% rapportent avoir vécu du harcèlement verbal tandis que 48% auraient été victimes d’assaut, selon L’aide aux transsexuel(le)s du Québec)

Je marcherai en solidarité avec les personnes racisées et immigrantes, ici et ailleurs en Amérique du Nord, qui sont plus souvent victimes de crimes violents et de crimes haineux et qui sont la cible de profilage racial de la part de la police.

Je marcherai en solidarité avec les personnes qui sont la cible du profilage social des forces policières : les personnes marginales, marginalisées, sans-abri, utilisatrices de drogues, les militantes et militants, aussi. Je marcherai en solidarité avec les habitué-e-s des quelques lieux publics restant au centre-ville de Québec pour qui la police n’a rien d’une force protectrice, surtout au lendemain de la mort d’un cycliste écrasé par une auto-patrouille dans des circonstances douteuses.

Je marcherai en solidarité avec les travailleuses du sexe pour qui la rue est un lieu de travail, qui sont plus à risque de face à des violences physiques et sexuelles que le reste de la population, et dont l’accès au système de justice et limité, notamment par les politiques en place.

Je marcherai en solidarité avec les personnes qui vivent aux intersections de plusieurs axes d’oppressions, et dont le risque d’être victime de violence et de discrimination est décuplé.

Je marcherai aussi pour rappeler que les problèmes de peur et de violence que vivent les femmes dans l’espace public ne sont pas réglés par le fait d’être accompagnées par un homme qu’elles connaissent alors que plus de 90% des agressions sexuelles sont commises par des agresseurs connus de leur victime.

Le vendredi 19 et le samedi 20 septembre prochain, je marcherai pour contrer la peur, pour dénoncer la violence sous toutes ses formes, pour réclamer notre droit à toutes d’occuper la rue, la nuit, sans peur.

Et vous, marcherez-vous? Pour quelle(s) raison(s)?

Au programme le samedi 20 septembre, à Québec :

2014_LaRueLaNuit_FB

 

 

 

 

** toutes les informations sur la page de l’événement!

Typhaine Leclerc-Sobry

2 Comments

Post a Comment