Les intouchables

L'équipe de football de l'Université de Montréal et ses écoles affiliées HEC et polytechnique, les Carabins. (Crédit photo: page Facebook des Carabins)

L’équipe de football de l’Université de Montréal et de ses écoles affiliées HEC Montréal et École polytechnique, les Carabins. (Crédit photo: page Facebook des Carabins)

Le sport au Québec, c’est important. Rien qu’à voir les deux jours de chapelle ardente au centre Bell et la tenue de funérailles nationales pour le joueur de hockey du club Canadien Jean Béliveau (seulement 11 personnalités québécoises à ce jour y ont eu droit), on comprends que c’est gros, très gros. C’est pas mêlant, si monsieur Béliveau était mort, disons, le jeudi au lieu du mardi, ça aurait peut-être éclipsé la commémoration du drame de polytechnique…

Dans la même veine, lorsque j’ai mentionné sur les réseaux sociaux mon malaise lié au nom de l’équipe de football de l’Université de Montréal et ses écoles affiliées HEC et polytechnique – les Carabins – j’ai reçu mon lot de réactions négatives. Il y a bien eu des commentaires néandertaliens sur Twitter comme de me faire traiter de «vagin sec», mais, aussi, des personnes sensibles à l’égalité homme-femme qui m’ont écrit tout de go sur Facebook qu’elles considéraient mon opinion comme étant ridicule.

On m’a rappelé que, dans ce cas précis, l’appellation carabins désignait plutôt un étudiant en médecine qu’un soldat armé d’une carabine (merci, je le savais déjà), ce à quoi j’ai répondu que l’origine de l’utilisation du mot «carabin» pour ces étudiants provient du fait que les appentis médecins de l’Hôpital Militaire d’Instruction de Strasbourg portaient tous une carabine et que, non, on ne sort donc pas du champ sémantique de l’arme à feu…

Je me suis aussi fait reprocher d’accuser l’équipe d’être porteuse de violence à cause de son nom. Sérieusement, je n’irais pas aussi loin. Mon propos était plutôt de dire qu’à mon sens le choix du nom est douteux, et ce, même si l’appellation est antérieure au drame de poly (toutes les équipes sportives de l’UdM s’appellent les Carabins depuis belle lurette). Lorsque la décision a été prise de relancer l’équipe de football en 2001, qui allait assurément jouir d’un rayonnement important, ç’aurait dû générer au moins une réflexion et une certaine prise de conscience quant à la sensibilité de l’affaire et du poids des mots, that’s it.

Je souhaitais aussi souligner au passage l’insouciance et le peu d’intérêt du public en général lorsqu’il est question de sensibilisation au sexisme et à la violence contre les femmes. Parce qu’il y a la théorie et la parole, comme tous ces beaux discours de politiciens, bienvenus s’entend, sur l’importance de l’égalité entre les sexes et la fin de la violence lors de la cérémonie de commémoration de poly, et puis, il y a les actes, la vraie vie, et c’est là où le bat blesse, où règne l’indifférence et, parfois aussi, l’hostilité.

Mais, quand j’ai vu la vigueur et l’empressement de plusieurs à taxer mon raisonnement de nono et à défendre l’institution sportive d’abord, je me suis dit que je tenais quelque chose.

Une amie érudite, vous l’avez déjà peut-être déjà lue ici, m’a dit que j’étais juste probablement «un peu avant-gardiste» avec mon idée. Oui, c’est vrai, je pense que peu de gens étaient disposés à entendre ce que j’avais à dire, surtout après la victoire éclatante de l’équipe à la Coupe Vanier, la fierté en grande pompe et la joie chauvine des Montréalais d’avoir coiffés Québec au poteau, la consolation pour eux qu’a dû être ce trophée, à défaut d’une Coupe Grey pour les Alouettes… alouettes!

Mais il y a plus, il y a le côté intouchable du sport et de ses artisans. Il y a le fait que le sport est devenu un phénomène quasi religieux au Québec. S’en prendre à des équipes sportives ou à des sportifs, c’est s’exposer à un déluge de critiques.

Les Dieux du stade

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Pourtant, ce «passez à go» qu’obtiennent automatiquement les sportifs n’est pas justifié. Un exemple tout bête : lors de la récente victoire des Carabins à la Coupe Vanier, un joueur s’est permis de flatter les cheveux d’une journaliste dépêchée sur place, en plein direct télé, comme s’il s’était agi d’une poupée, tandis qu’un autre joueur l’a inopinément embrassée.

Le malaise de la co-animatrice en studio était palpable, tandis que son collègue trouve le tout h-i-l-a-r-a-n-t. Eh bien non, ce n’était pas drôle. Du tout. C’était humiliant pour la reporter, qu’on a ramené à sa condition de «femelle bandante». Pourquoi cette station de télévision n’a pas été capable d’envoyer le bon signal et de dire «et bien, cher public, voilà un geste qui était complètement déplacé»?

Dans un registre plus grave, on ne compte plus les cas de violence conjugale dans le sport professionnel. Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’équipe de TVA sports, qui a dressé en septembre un top 15 des athlètes qui ont fait face à de telles accusations. «Le but de ce palmarès n’est pas de promouvoir la violence conjugale, mais plutôt de dénoncer ce fléau qui occupe beaucoup trop de place dans le monde du sport et dans la société», ont-ils précisé. Mais cela ne semble pas abîmer pour autant l’aura de ces intouchables.

La fascination pour le sport est totale. Du pain et des jeux, on n’en est jamais bien loin. Ainsi, le jour de la grande manifestation nationale contre l’austérité le 29 novembre dernier, mon fil d’actualités Facebook était plutôt rempli de statuts de gens qui se «taggaient» et se «selfiaient» au match final de la Coupe Vanier.

Dans le fond, je me demande ce qui est pire, une société peu sensible à la violence faite aux femmes ou foncièrement anti-intellectuelle, dont les héros sont des sportifs? Pas de problème, au Québec, on a la chance d’avoir les deux.

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