Quand raison et sentiments rencontrent orgueil et préjugés

Mon week-end avait pourtant bien commencé. Une session de spinning intensive suivie d’un sprint au parcours stratégiquement mis au point (j’en suis fière) pour réussir à boucler les courses plates (épicerie-pharmacie-SAQ-alouette) en moins d’une demi-heure et un souper au resto en compagnie d’amis qui ont compris que d’être un tant soit peu intelligent, c’est user du cerveau qu’on a reçu à d’autres fins que de se vanter ou d’être condescendants envers la planète entière à l’exception de son petit nombril.

Vendredi soir étant souvent synonyme de nostalgie (dans mon cas), j’ai aussi passé une partie de ma soirée à échanger des textos avec une ancienne fréquentation. En tout bien, tout honneur même si, je l’admets, ce genre d’échanges me donne toujours l’impression d’avoir une certaine valeur parce que l’autre pense à moi, même si près d’un an s’est écoulé depuis notre dernier tête-à-tête. Je vous épargne les détails usuels (je m’ennuie, notre chimie me manque, blabla) qui m’ont fait douter sérieusement que sa soirée fût aussi sage que la mienne en ce qui concerne le nombre de consommations absorbées. Après avoir refusé à plus d’une reprise son « invitation » insistante à venir me rejoindre chez moi (insistance étant un euphémisme dans le cas présent), je rentre sagement à la maison.

Que les choses soient claires :

  1. Ce gars-là, ce n’était pas qu’un amant au hasard. J’ai eu des sentiments pour lui.
  2. Oui, il y a eu une chimie sexuelle certaine entre nous. Pourtant, je me pose toujours la question à savoir s’il aimait vraiment le sexe ou si ce n’était pas plutôt l’idée d’interdit, « l’enrobage » qui accompagnait le contexte de notre histoire qui l’émoustillait. Parce que…
  3. … il était en couple. Il l’est toujours d’ailleurs. Oui, je le savais. Je pourrais ici sortir toutes les raisons du monde, mais non, il n’y a aucune excuse qui justifie d’avoir entretenu cette histoire pendant plusieurs mois. Outre le fait que je m’étais attachée à lui. Ça doit être à ça que servent les psys. À te faire « travailler » sur le pourquoi du comment de ce genre de situation. Jugez-moi, ça ne changera pas grand-chose.
  4. C’était un collègue de travail. Vous pensez peut-être que je suis du genre à aimer me mettre dans le trouble? Je réponds que je trouvais que la phrase « never fuck with the payroll » manquait à mon vécu. Que j’essayais de me sortir d’une histoire pas facile et que je le voyais, au départ du moins, comme une belle distraction. Que je le trouvais donc rafraîchissant avec son air de p’tit jeune qui essaie de jouer au grand. Que s’il trompait sa blonde, ça ne me regardait pas et que c’était à lui de gérer sa vie et ses mensonges.
  5. J’aime la nostalgie qui par définition me donne envie de revivre un souvenir passé et qui me permet de me souvenir des gens pour le meilleur d’eux-mêmes. Le reste, je préfère le ranger bien loin, là où ma mémoire peut l’effacer. Comme un référencement vraiment mal fait qui te fait sortir en page 50 sur Google. Je suis pas mal douée pour le « déréférencement » sentimental. Surtout quand vient le temps d’effacer le côté peu reluisant de l’autre.

quotescover-JPG-50 - copieOù en étais-je? Ah oui! Une fois arrivée à la maison et après avoir nourri le chat qui miaulait comme s’il venait de traverser le désert de sel, je réalise que les textos se sont intensifiés en nombre. Comme il demeurait persistant, j’ai sorti l’artillerie lourde. Le call de la fille raisonnée. Celui qui, selon moi, turn off n’importe quel gars qui lance un booty call mélancolique. Et qui dit explicitement que jamais plus je ne me contenterai de jouer le rôle de maîtresse et de 5e roue du carrosse. Le call qui fait dire au gars en question qu’il serait mieux d’éplucher ses autres conquêtes, le cas échéant. Bref le call de la fille plate pour tout homme de 25 (26?) ans qui a trop bu et a soudainement envie de faire la rumba et de sauter une nouvelle fois la clôture de sa vie de couple plate et rangée de p’tit gars un peu trop lâche pour être un homme. La vie d’un p’tit gars qui fonce tête baissée et à 100 milles à l’heure dans le pattern classique du mariage-bébés-burnout-tromperie-maîtresses-larmes-divorce-welcome-t’as-manqué-de-jugeote-et-tu-sais-pus-t’es-qui-rendu-à-35-ans.

Jusqu’à maintenant, j’étais bien fière d’avoir repoussé ses avances. Surprise, surprise! Il finit tout de même par se pointer chez moi, vers minuit et des poussières. Honnêtement, rendue là, je me suis dit que franchement, peu importe avec quels amis il était avant de débarquer ici, fallait vraiment être cave pour l’avoir laissé prendre le volant de son char. Alors, bien sûr, j’ai fini par sortir mon grand cœur de samaritaine en lui ouvrant la porte, me disant qu’il était mieux de dégriser chez moi que de frapper un barrage en s’en allant ou pire encore, quelqu’un. Et comme je l’avais rarement vu se mettre dans un état pareil, j’ai aussi pensé qu’il n’allait peut-être vraiment pas bien, et qu’il avait besoin d’une oreille pour l’écouter. J’avais encore un peu d’estime pour lui… Une estime mêlée de raison et de sentiments. C’est étonnant comment deux mots ayant la même racine étymologique peuvent pourtant sembler si opposés dans leur signification. Je comprends mieux la perception de Jane Austen.

quotescover-JPG-11 - copieGrand mal m’en fasse. J’ai eu droit, ce soir-là, à la plus grande prestation du phallocentrisme dans toute sa splendeur. Du grand art. Après avoir repoussé ses tentatives de baisers passionnés, de tripotage inspirant tout sauf du désir et m’avoir servi quelques phrases prouvant à quel point il était un mâle alpha (ouin…), il s’est mis à m’insulter comme si son objectif était de représenter tous les antonymes du mot délicatesse que peut contenir Antidote (dont les principaux sont : grossièreté, brutalité, indécence et vulgarité). 150 ans (minimum) d’évolution venaient de partir en fumée.

Mesdames, je vous confirme que, si vous repoussez les avances de certains gars, dont celui-ci est un spécimen classique de la tranche démographique 25-30 ans, diplômé universitaire (sic) en science po (sic… en espérant que sa carrière politique reste où elle en est, c’est-à-dire au point zéro parce qu’on ne pourra pas compter dessus pour améliorer le sort des femmes), jeune travailleur professionnel, habitant la banlieue snobinarde et travaillant à Montréal, vous pourriez être classées dans l’une des deux catégories suivantes, au choix :

  • Qualificatif lancé ici avec un ton tout ce qu’il a de plus péjoratif, comme si c’était une tare, une maladie et une honte. Si la société a fait du chemin concernant l’homosexualité, cette avancée et cette acceptabilité ne se sont de toute évidence pas rendue jusqu’à certains cerveaux des contrées profondes de la banlieue sud de la métropole. À tous mes amis et amies gais et lesbiennes, je tiens à vous dire que je vous aime et que j’applaudis votre courage. Je n’aurais jamais cru qu’en 2014, on en était encore là.
  • Frigide… En effet. Comment ne pas tomber en pâmoison devant un gars complètement saoul, qui peine à mettre un pied devant l’autre et qui te lance des fleurs du genre « anyway, astheure j’aime mieux les filles qui ont plus de seins pis de fesses… »? Je me demande bien comment j’ai pu résister à l’envie folle de garrocher mes vêtements par terre et lui sauter au cou…

Sur ces belles paroles d’amour et de respect mutuel, ponctuées de quelques autres tentatives pas très diplomates (comme quoi ce n’est pas tout le monde qui peut transposer dans sa vie ce qu’il apprend sur les bancs de l’université), monsieur décide de clopiner jusqu’à mon lit où il s’est vite avachi et mis à ronfler, comprenant bien vite qu’il ne vivrait pas plus d’épopée inoubliable en position horizontale.

Je ne me suis jamais qualifiée de féministe, trouvant la cause parfois quelque peu exagérée, si je veux être bien honnête. Je reviens sur cette impression. Aujourd’hui encore, en 2014, le plus rétrograde des esprits misogynes peut parfois se retrouver sur le pas de notre porte, prêt à foutre à la poubelle, en deux paroles de coq fier et stupide, les pas si durement et chèrement franchis vers une égalité hommes-femmes.

Je ne sais pas s’il est parti en douce à 6h du matin parce qu’il avait honte de ses agissements ou simplement parce qu’il voulait arriver chez lui avant sa blonde, qui n’était certainement pas à la maison la veille. Mais cette fois-là, quand il est parti, j’ai pu simplement me dire : bon débarras. Je suis heureuse d’être la fille « devenue plate », mais qui, au moins, se respecte encore un peu.

Franchement, ce soir-là, j’aurais donc dû faire le « choix triomphal » : appeler Nez rouge…

À l’intention de Monsieur le Diplomate :

  • Dude, ta technique de drague est peut-être au point, mais celle de reconquête est tout simplement un désastre.
  • L’alcool, ça te va pas pantoute. By the way, t’as pas compris (sérieux???) qu’alcool et conduite, c’est pas le top? J’ai VRAIMENT besoin d’extrapoler sur ce point?
  • À ce propos, ton ami, « ton frère », franchement, ça lui tentait pas de t’appeler un taxi ou de te garder à coucher? Parce que moi, je laisserais jamais ma sœur, une de mes amies ou quelqu‘un à qui je tiens un tant soit peu prendre le volant dans cet état lamentable. C’est carrément inconscient de sa part.
  • C’est pas en insultant le monde qu’on arrive à ses fins. On peut dire que la galanterie est loin de t’étouffer.
  • D’ailleurs, t’étais pas attentif le jour où tes parents ont essayé de t’apprendre le respect envers les femmes (TOUTES les femmes, en passant par ta blonde, tes maîtresses, les lesbiennes, tes collègues, les filles qui choisissent de te dire non, etc.)? Parce que, ça non plus, ça n’a pas l’air de t’empêcher de respirer.
  • Je sais que tu te crois très brillant, mais juste de même, le propre de l’intelligence, c’est de se remettre en question, d’écouter et d’être curieux. C’est comme ça qu’on avance. Se trouver intelligent et être certain de détenir la vérité sur tout sans jamais écouter les autres, ça s’appelle du narcissisme et c’est pas comme ça qu’on contribue à faire avancer le monde.
  • La sécurité du building est venue cogner chez moi et m’a servi un beau discours samedi concernant ta performance dans les corridors du bâtiment. Je te conseille d’aller présenter tes excuses parce qu’à l’heure actuelle, je t’annonce qu’ils t’ont fiché (leurs termes). Je sais pas trop ce qu’ils entendent par là… So, good luck with that!

Catherine B. L.

4 Comments

  • Bebelle
    18 décembre 2014

    Le gars n’a pas respecté tes limites et c’est une chose qu’il faut dénoncer, mais là je me demande si toute cette histoire et tous ces détails sont d’intérêt public.

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    • Marie-Anne
      20 décembre 2014

      Salut! Comme membre de l’équipe d’admin de JSF, on a trouvé que ce billet était pertinent pour la publication. Si l’auteure avait envie d’en discuter, et qu’elle nous a contacté, c’est qu’elle a ses raisons. Merci de ne pas remettre en cause la pertinence du billet globalement; cette histoire particulière peut bien s’adresser à un grand nombre d’expériences de « drague » ayant tourné au vinaigre par des femmes.

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    • Ana
      16 mars 2016

      Personnellement, je trouve son histoire intéressante, car même si elle est anecdotique elle est révélatrice.
      J’ai moi aussi été confrontée à des attitudes sexistes et violentes de la part d’hommes que j’aimais/j’estimais, en qui j’avais confiance, qui ne s’étaient pas montrés sexistes et violents jusque là.
      Son billet cherche, selon moi, à illustrer que le sexisme est partout et en tout le monde, et que malgré la soi-disant libération sexuelle et la légale l’égalité femme-homme, la société (vous, moi, lui, elle)considère toujours que les hommes ont des « besoins irrépressibles » et les femmes n’ont que de « faibles désirs sexuels » et ont donc un peu besoin d’être forcées pour permettre aux hommes d’être sexuellement satisfaits.
      Et que même le plus gentil des garçons, qui se dit féministe et qui te dit qu’il te respecte plus que tout au monde, peut trouver offensant qu’une femme ose lui refuser un acte sexuel.

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  • Bebelle
    20 décembre 2014

    Oui, je ne remets pas tout le billet en cause. C’est clair que plusieures peuvent se reconnaître dans cette histoire et je suis solidaire avec l’auteure qui a passé un mauvais quart d’heure. Je me disais seulement qu’elle semblait plus s’adresser au gars qu’à nous et qu’elle donnait plein de détails superflus.

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