Gone Girl : Amy Dunne et le droit d’être une bitch

Crédit photo :  http://meonthemovie.blogspot.ca/2014/07/gone-girl-special-edition-analyzing.html

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*** Ce texte comporte d’importantes révélations concernant l’intrigue du film ***

Il y a quelques semaines, Justine Le Moult et Amanda Postel, deux militantes pour Osez le féminisme ! ont émis un bouillonnant billet sur le film Gone Girl de David Fincher, accusant le film de masculinisme, de misogynie et de machisme. Elles en veulent surtout au personnage d’Amy Dunne (Rosamund Pike), la femme de Nick Dunne (Ben Affleck), le principal protagoniste du long métrage. Ce dernier voit sa conjointe disparaître mystérieusement le matin de leur cinquième anniversaire de mariage. Selon les deux auteures, « Amy incarne le cliché patriarcal de la perversion féminine idéale, qui utilise la violence psychologique, soi-disant arme favorite des femmes, pour humilier et blesser son mari ». C’est qu’Amy, après avoir découvert que son mari la trompait, a orchestré sa propre disparition afin de se venger et de faire inculper Nick de son meurtre. Et naturellement, il n’en faut pas plus pour crier au personnage de « manipulatrice perverse » qui victimise le pauvre mari bafoué. Or, c’est bien mal comprendre un film et un portrait de la femme qui est tout sauf aussi primaire.

Le problème principal ignoré par les auteures est sur la question de la représentation, enjeu central du récit. Grâce à la présence très appuyée des médias, le film met en lumière la construction des rôles sociaux joués par les deux protagonistes. D’abord, l’image calculée d’Amy en épouse parfaite et en femme battue et celle de Nick qui apparaît comme un mari violent et infidèle. Certes, il faut admettre que le long métrage joue un jeu dangereux en présentant comme un stéréotype la femme abusée par son mari : celui de perpétuer cette réalité comme un mythe alors que la vague de dénonciations d’agressions sexuelles des dernières semaines nous a montré tout autrement. C’est peut-être le seul argument (que Le Moult et Postel esquissent d’ailleurs à peine) où il est possible d’acquiescer.

Ensuite, il ne faudrait pas oublier non plus – comme le font nos deux expertes – l’alter ego d’Amy. Depuis son enfance, la jeune femme est l’inspiration pour le personnage central d’« Amazing Amy », une série de livres pour enfants créée par ses parents. La vie rêvée et construite d’Amy par son père ET par sa mère ramène constamment la prétendue disparue à la déception de son existence réelle (elle n’est plus écrivaine, Nick a perdu son emploi et vit à ses dépens). Sa « psychose » devient le fruit d’une pression sociale où le rêve américain se présente comme une obligation et non comme une possibilité.

Puis, surtout, et là est tout son génie, le film expose le personnage d’Amy comme réfléchi d’après un régime patriarcal. Tant lorsque cette dernière prétend jouer à la femme parfaite que lorsqu’elle devient une femme fatale redoutable. Outre les parents d’Amy qui incarnent cet ordre, Nick le démontre aussi parfaitement en exprimant du mépris envers le genre féminin. «I’m so sick of being picked apart by women » lâchera-t-il, en plus de qualifier sa femme de bitch lorsqu’il se réfère à elle. Il la croit folle, malade alors que pourtant, Amy, elle, se perçoit comme « une combattante ». C’est elle qui sort gagnante de toute cette histoire. Parce qu’elle comprend, bien avant Nick, les codes des rôles sexuels, mais aussi et surtout parce qu’elle se réapproprie sans compromis les insultes de son mari et revendique son droit d’être une bitch. Ainsi, Amy s’affranchit du regard patriarcal posé sur elle. Lors du dénouement, elle affirme à Nick :

« I’m the cunt you married. The only time you liked yourself was when you were trying to be someone this cunt might like. I’m not a quitter, I’m that cunt. I killed for you; who else can say that? You think you’d be happy with a nice Midwestern girl? No way, baby! I’m it. »

Le féminisme a la particularité de remettre en question, d’interroger, de se définir comme un discours en mouvement. Et s’il faut suivre l’exemple de Le Moult et Postel, prétendument féministes, il faudrait condamner et soustraire toute forme de représentation qui ne correspond pas au « modèle ». Est-il possible qu’Amy ne soit peut-être pas un « idéal » à suivre – elle manipule froidement son entourage et commet tout de même un meurtre -, mais malgré tout un cas indispensable à travers lequel les féministes devraient poser un regard juste et réflexif ? C’est aussi ça prétendre aspirer à l’égalité des sexes, reconnaître qu’au cinéma ou sous n’importe quelle forme d’art, les femmes peuvent, au même titre que les hommes, être des antihéros.

 

 

 

 

 

6 Comments

  • Sissi de la Côte
    21 décembre 2014

    Est-ce qu’il y a seulement moi qui trouve une certaine condescendance dans cet article? (Notament en appelant les blogueuses de l’autre article « nos deux expertes » nos?) J’ai l’impression que c’est de la mecsplication pure et simple. (Quoi que je ne sache pas le genre auquel l’auteur.e s’identifie, c’est la vibe que j’en tire)

    Je ne vois pas en quoi c’est de « owner » le patriarcat que de se plié aux rôles attribués aux genres (dans la binarité) dans le bien (épouse parfaite, etc) et le mal (bitch, manipulation, violence psychologique)…

    Non seulement, rares sont les héroines femmes qui ne se servent pas de leur sexualité/sensualité/charme pour atteindre leur fin, elles sont souvent l’oeuvre d’auteur masculin… (donc une perception de la femme selon le sexe « opposé ») ce qui fait que rare sont les personnages de femmes qui sont des héroïnes non-stéréotypée dans le genre. L’argumentaire de l’article me semble plus masculiniste (ou genre « humaniste » lolol) que féministe..

    Bref, c’est ce que j’ai ressenti pendant la lecture…

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  • Meg
    23 décembre 2014

    Il y a une critique de ce film sur le site lecinemaestpolitique pour apporter de l’eau au moulin de cette discussion
    http://www.lecinemaestpolitique.fr/gone-girl-ou-comment-faire-semblant-de-ne-pas-etre-misogyne/

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  • Chucky
    5 janvier 2015

    Où tu vois de la condescendance, je vois plutôt de la réfutation. M’enfin, à chacun son interprétation. Et je ne vois pas de masculinisme là-dedans, outre le fait que l’article a visiblement été écrit par un homme (Frédéric?). Ce que je comprends c’est que l’auteur défend le droit à la diversité des rôles féminins au cinéma, « bons » comme « mauvais », et je ne peux qu’être absolument d’accord.

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  • Kristine
    8 février 2015

    Je pense que la critique de LeMoult et Postel mérite considération. Moi aussi j’ai d’abord eu reflux féministe en voyant ce film où la femme est une froide manipulatrice usant de sa séduction pour dominer un homme, un bon gars « élevé au grain » du Minnesota. Toutefois, les médias, dans ce film, présentent aussi le couple d’une façon stéréotypée: « Amy, la douce, délicate fiancée américaine, et Nick, le type nécéssairement violent qui a tout à se reprocher ».

    Par contre, n’oublions pas que ce film est aussi une critique des construction médiatique. Je pense donc qu’il y a différents niveaux d’analyse que l’on peut faire dans ce film.

    On s’entend tous pour dire qu’il y a deux stéréotypes sexistes présentés. Le premier est celui de la femme victimisée/ homme violent. Tout le monde est d’accord pour se dire que le public (dans le film) est un mouton sans sens critique de gober cette image sans se questionner. Mais il présente aussi ce stéréotype: femme manipulatrice/ homme castré. Et nous, sommes-nous aussi stupides que le public du film à gober ce stéréotype?

    Moi, je trouve au bout du compte que les personnages et leurs relations sont vraiment d’une complexité folle. Nick, oui, le type un peu bête… mais est-il si différent d’elle? Ils se présentent au début comme deux âmes soeurs qui poussent la quétainerie à s’acheter le même cadeau pour leur anniversaire. Leur bonne entente et leur amour nous semble bien sincère. Pourtant, il n’hésitera pas à user de manipulation des médias pour parvenir à sauver sa peau. Il ment effrontément concernant sa jeune maîtresse. Il fait preuve aussi de violence physique envers sa femme à plusieurs reprises. Et elle? Est-elle si foncièrement mauvaise que ça? Il semble qu’elle soit finalement capable « d’amour » (malsain) envers son conjoint, puisqu’elle se laisse finalement tromper (ah oui, c’est tromper ou simplement ramener?) par le discours manipulateur de son conjoint. Moi aussi, je trouve qu’Amy Dunne est une combattante à sa façon.

    Posons-nous la question: de quoi auraient eu l’air les analyses (celles de LeMoult, Postil et Frédéric) si Amy avait été l’homme et Nick la femme? Je ne sais pas… Je pense que LeMoult et Postel auraient tout de même fait une analyse féministe du film… Et que Frédéric aurait contre-argumenté.

    Au bout du compte, je trouve que ce que le film présente, c’est une relation « d’amour » où les violences physiques et psychologiques sont légion. Une relation qualifiée par l’extrême, par la domination. Un film sur les constructions médiatiques d’une relation de domination dépeindra tôt ou tard des stéréotypes sexistes. Un film n’aurait pas pu être non-sexiste ET présenter des rapport de domination dans un couple,je pense.

    Pour terminer, je suis plutôt irritée que beaucoup d’hommes qui exposent des points de vue se fassent taxer de « mansplainer ». Je trouve que c’est un excellent sophisme.Je trouve que ceux qui se font qualifier de mansplainer constituent certainement, éventuellement, d’excellents alliés au mouvement féministe. En souhaitant nuancer certaines analyses féministes, ils exposent leur point de vue de façon stéréotypée et c’est bien là leur erreur. Je trouve que ces hommes méritent considération… comme les analyses féministes qu’ils essaient parfois d’écarter avec beaucoup trop d’enthousiasme.

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  • Unjeff
    18 février 2015

    Bonjour,

    Je vois dans cet article une lecture enfin intelligente de ce que nous dit Gone Girl.

    C’est un tour de force de la part du film que de sous tendre un discours féministe ou du moins, progressiste au travers de son héroïne présentée au premier degré comme une psychopathe. N’est ce pas le regard porté par la société patriarcale sur ces femmes se prétendant victimes d’un système masculiniste ? N’ont-elles pas été (ne sont-elles pas encore) marginalisées sitôt déclarées comme hostile à ce système ? Non, le propos est bien le contraire de celui développé dans cet article d’osezleféminisme. Cette femme sera hors des codes de la société, quittes à se mettre hors la loi, pour bousculer l’ordre établi, ne refusant pourtant pas l’idée de la vie à deux mais sans ce compromis inacceptable qui lui est proposé, celui de Desperate Housewife. Ce ne sera possible qu’à condition que l’homme avoue sa médiocrité et sa volonté de changement devant la société (du spectacle), elle ira alors jusqu’à tuer pour rendre ce projet possible : la femme est l’avenir de l’homme ? Dans sa conclusion, le film modèrera cette possibilité par l’idée que manifestement cet aboutissment proposé par Amy et donc l’avènement de sa lutte féministe, rencontrera inévitablement un nouveau déséquilible dans le pouvoir établi. Sommes-nous définitivement fait pour ne pas vivre en couple ?

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